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Autour du lactume: comme dans océantume

Assise à un bureau couvert de papiers et de crayons, devant un écran où seront projetés des phrases ou des images, Markita Boies nous séduit sans peine avec Autour du lactume, un spectacle d’une heure présenté à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier.

 

Martin Faucher, un familier de l’œuvre de Réjean Ducharme, s’est cette fois-ci attardé aux dessins de l’écrivain décédé en 2017. Son héritage littéraire ne fait aucun doute; sa percée dans le domaine des arts visuels constitue une ramification de ses romans. On y retrouve en condensé le même esprit, le même humour désespéré, le même bonheur à jouer avec les mots et les expressions reçues, cette fois-ci agrémentés d’un support visuel. Et c’est l’exercice auquel se livre la comédienne, nous montrant des dessins de Ducharme et lisant les légendes qui les accompagnent. Le tout entrecoupé à l’occasion de passages de Lautréamont, Corneille, Rimbaud ou Nelligan. Le résultat est merveilleux.

 

Des exemples : Des croissants de lune mal faits et des bananes mal faites; Neuf carrés mal faits, les autres sont morts; Si tu trouves ça beau, tant pis pour toi; Willy Lamothe et les quarante voleurs; Filet pour ne pas prendre de poisson; Il n’y a que ceux qui sont sur le qui-vive qui vivent; Tasse pleine de sang-froid. Et au fur et à mesure de la progression du spectacle, le propos de Ducharme se fait de plus en plus déjanté, de plus en plus critique aussi de la société de consommation, de l’Amérique, de ce que nous sommes. Des propos que n’auraient pas reniés Bérénice Einberg ou Mille Milles et Chateaugué.

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Markita Boies assure de façon superbe les étranges et séduisantes géographies de ce langage. Avec sensibilité et toute la dérision qu’il faut, de son regard malicieux et de sa gestuelle à la fois hiératique et familière, elle transmet la profonde originalité et l’aliénation aussi de cet écrivain énigmatique, créature endommagée qui devrait souffrir moins lorsque réfugié dans son univers. Elle le fait avec une grâce et une élégance peu communes, interpellant le public, nous rendant complices de ce doux délire où elle prend manifestement beaucoup de plaisir. La mise en scène de Martin Faucher, loin d’être statique, rend compte de la vitalité qu’on retrouve à travers les phrases parfois pessimistes de Réjean Ducharme. Les éclairages de Samuel Patenaude et les images et vidéos de Sandrick Mathurin y contribuant de belle façon.

 

Markita Boies est l’enchanteresse qui nous ensorcelle dans cette heure lumineuse dont on sort complètement ravis et complètement d’accord avec Réjean Ducharme qui réclamait le Prix Nobel de la désinvolture. Mais cette désinvolture, on s’en rend compte, dissimule sous beaucoup d’humour une tristesse diffuse qui ne nous laisse pas indemne. L’étrangeté qui infiltre le réel dans ces légendes de dessins nous amène ailleurs, tout comme les personnages des romans de cet écrivain remarquable qu’il faut relire pour se rendre bien compte qu’il est à nul autre pareil.

 

Crédit photo : Vivien Gaumand

Autour du lactume : Une production des Éditions du Passage et du Jamais Lu en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier, à la salle Fred-Barry jusqu’au 9 novembre 2019.



31/10/2019
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