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Trip de Mathieu Quesnel, retour sur les années 60

Au début de Trip, la plus récente pièce de Mathieu Quesnel présentée à l’Espace Libre, on a l’impression d’observer un party où des jeunes (et moins jeunes) gens enthousiastes rient et chantent et s’amusent. Trip se veut une célébration des années 60, ça ressemble beaucoup à la répétition d’une pièce, à un work in progress, c’est sympathique mais on ne sait pas trop où ça s’en va.

 

Il faut un bon trois quart d’heure avant que le spectacle ne nous donne enfin un fils conducteur et à ce moment-là, ça devient intéressant. Lucie (Amélie Dallaire, merveilleuse) meurt et se retrouve…quelque part où elle fait un retour sur sa vie.

 

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La pièce est remplie de références, entre autres avec des projections vidéo, aux Merry pranksters, cette bande de joyeux lurons qui sillonnaient l’Amérique en 1964 dans un autobus aux couleurs psychédéliques. Sous la férule bienveillante de Ken Kesey, le groupe  consommait abondamment marijuana et LSD. Se sont retrouvés à bord à un moment ou à un autre Neal Cassady qui fut le compagnon d’aventure de Jack Kerouac, les Grateful Dead et la soliste de Jefferson Airplane, Signe Anderson. Ce fut les débuts du mouvement hippie dont l’influence, on le sait, fut considérable sur la culture américaine.

 

Parmi les révélations sur la vie de Lucie, mentionnons que sa grand-mère aurait fait partie de ces Merry pranksters et aurait été la compagne de Neal Cassady. Elle serait morte d’une overdose dans le célèbre autobus, laissant une petite fille, la mère de Lucie qui n’a jamais abordé le sujet de ses origines et qui a mené une vie extrêmement plate, en complète opposition avec l’esprit de liberté et de transgression dont sa génitrice avait fait preuve.

 

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Navet Confit s’occupe de la musique, essentielle dans ce spectacle, avec sa maestria habituelle. Yves Jacques est adorable, comme toujours. Il aurait préféré que la troupe monte Le bourgeois gentilhomme, mais il fait contre mauvaise fortune bon cœur et participe joyeusement à toutes les extravagances de Trip. Olivier Morin use de son charme sans restriction, Julien Lacroix est hilarant en type qui nous lit Wikipédia pour qu’on saisisse toutes les références de la pièce. Stéphane Demers est un psy un peu inquiétant et Sylvie Potvin se donne pleinement dans divers rôles dont celui de la mère de Lucie. La mise en scène, un peu bordélique mais c’est voulu, n’a pas vraiment dérapé le soir de la Première sauf pour un comédien qui semblait savoir son texte de façon un peu approximative. Mais mettre 16 comédiens sur une petite scène comme celle de l’Espace Libre relève de l’exploit et Mathieu Quesnel a certainement relevé le défi avec brio et intelligence.

 

Trip est plein de charmantes absurdités avec beaucoup, beaucoup d’excès et de situations loufoques. Après avoir passé à travers le début qui est du grand n’importe quoi, je me suis rendue compte qu’il y avait quelque chose dans ce texte. Ça devrait être ramassé davantage pour constituer un ensemble plus cohérent, le plaisir serait décuplé et on perdrait moins de temps dans des sparages qui retardent l’élaboration de cette histoire. Mais à voir ces comédiens s’éclater, souvent dans des contre-emplois savoureux, on sent bien qu’il y a là un filon jubilatoire à exploiter.

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Gabrielle Desmarchais

Trip : Une Production Tôtoutard, à l’Espace Libre jusqu’au 21 mars 2020.


12/03/2020
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L'Inframonde de Jennifer Haley: science-fiction peut-être pas si lointaine

C’est très Westworld, cet Inframonde : un texte de Jennifer Haley que l’on peut voir à La Licorne et qui explore le thème d’une réalité virtuelle où tout est permis, où l’on peut laisser cours à toutes ses perversions sans qu’il n’y ait aucune conséquences puisque ce n’est pas vrai, n’est-ce-pas.

La pièce a été produite pour la première fois en 2013 et Westworld a débuté au réseau HBO en 2016, on peut donc affirmer que c’est dans l’air du temps que de s’interroger sur ces questions qui ont peut-être débuté sans qu’on s’en préoccupe beaucoup avec les jeux vidéo extrêmement violents où en incarnant un personnage on peut tuer des gens impunément en y prenant même du plaisir.

 

La scénographie et les costumes de Geneviève Lizotte nous plongent d’emblée dans ces univers parallèles : à droite, une salle d’interrogation, une table deux chaises, la sobriété incarnée, à gauche Le Refuge, cet endroit virtuel créé par Papa, bucolique avec son feuillage, son banc, sa balançoire, tout pour évoquer un délicieux jardin victorien où s’ébattent des enfants un jour d’été. C’est ce Refuge que visitent virtuellement des pédophiles afin d’assouvir des désirs inadmissibles dans nos sociétés.

 

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La détective Harrison (Catherine Lavoie) interroge un monsieur Roy qui préfère se faire appeler Papa (Yannick Chapdelaine). Elle questionne la légalité de ce monde où on peut se livrer à toutes les perversités et poser des actes interdits. Papa qui, dans la vie réelle est marié et n’a pas d’enfants, soutient qu’il offre là une soupape permettant aux pédophiles de se livrer à leurs propensions sans faire de victimes et qu’en fait il est quasi un bienfaiteur de l’humanité en sauvant ainsi des enfants innocents de potentiels prédateurs. Harrison n’est pas convaincue et questionne l’existence d’un endroit où on peut se livrer à toutes les exactions et perversions possibles et imaginables sans conséquences aucunes. Car toute la question est là : même s’il s’agit d’un monde virtuel, a-t-on le droit de faire le mal?

 

Harrison interview également Schmidt (Igor Ovadis), professeur au collège qui gagne misérablement sa vie et dont le compte de banque montre des rentrées d’argent suspectes. Lui aussi passe du temps au Refuge. Pourquoi? La détective décide d’envoyer un de ses collègues undercover. Dubois (Simon Landry-Désy) fera la connaissance d’Iris (Simone Noppen), une enfant de dix ans habillée d’une robe blanche avec une fleur dans les cheveux, une regard bleu, un sourire charmant, l’image même de l’innocence et de la pureté virginale, l’une de ces enfants à qui on peut faire tout ce qu’on veut puisqu’elle n’existe pas vraiment, n’est-ce-pas.

 

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À la mise en scène Catherine Vidal utilise avec bonheur tout l’espace restreint de la Petite Licorne. Mais j’ai éprouvé quelques problèmes avec la direction de comédiens. Yannick Chapdelaine, avec sa voix et sa prestance, habillé en dandy du 19ème siècle assure une composition sans faille de ce Papa fort discutable. Igor Ovadis est complètement touchant dans le rôle de Schmidt, un homme solitaire et perdu à la recherche de tendresse et on ressent toutes les contradictions avec lesquelles se débat Simon Landry-Désy en Dubois, visiteur improbable de ce Refuge. Mais les deux rôles féminins de Harrison et d’Iris représentent les maillons faibles de cette distribution. Catherine Lavoie ne fait montre d’aucune autorité dans son rôle de détective, elle semble ailleurs, pas convaincue du tout de l’importance de son personnage qui sera pourtant le révélateur de bien des choses. Simone Noppen, Iris, remporte la palme de l’incarnation de ce fantasme d’enfant parfaite et délicieuse mais la livraison de son texte laisse à désirer, la diction est molle et le ton pas toujours très juste. Le texte de Jennifer Haley est fort et prégnant et les deux comédiennes ne sont pas à la hauteur.

 

Le Refuge c’est le règne des pulsions incontrôlées, des sensations exacerbées à côté desquelles la vie normale semble irrémédiablement fade et sans saveur. C’est aussi le lieu où des créatures abîmées peuvent, semble-t-il, trouver un semblant de validation. Les questions éthiques soulevées par cette pièce sont nombreuses et elle mérite d’être vue. Car, soyons-en assurés, il n’est pas loin le jour où ces univers virtuels existeront. Je souhaiterais seulement qu’ils soient comme dans l’épisode San Junipero de Black Mirror : une sorte de paradis où l’on trouve le bonheur.

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Guillaume Boucher

 

Inframonde : Une Production Théâtre La bête Humaine en codiffusion avec La Manufacture, à La Licorne jusqu’au 3 avril 2020.


10/03/2020
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Ceux qui se sont évaporés de Rébecca Déraspe: s'effacer de sa vie

Il faut beaucoup de talent pour écrire un texte comme Ceux qui se sont évaporés, la pièce qu’on peut voir au Théâtre d’Aujourd’hui. Rébecca Déraspe traite de la disparition, de disparitions, elle examine, triture, retourne sous toutes ses facettes ce thème et tout ce qu’il peut impliquer, tout ce qui peut en découler et toutes les émotions qui y sont liées en les explorant avec fécondité. Elle nous prend par la main dès le début avec une intrigante litanie sur la naissance, l’existence, la mort, la répétition, ce retour incessant des mêmes choses depuis toujours. Et elle ne nous lâche plus.

 

C’est l’histoire d’Emma, enfant, adolescente, jeune fille et femme. Quelqu’un qui semble vivre à côté d’elle-même, en observatrice, qui ne sait pas ce qu’elle aime ou n’aime pas, à qui tout semble indifférent, qui se laisse porter par les événements. Elle a des parents aimants, un homme dans sa vie et une fille de cinq ans, Nina. Mais rien ne comble le vide intérieur qu’elle ressent ni l’incertitude et l’angoisse dans un monde où seul règne le matérialisme. La vie d’Emma dans une banlieue, son travail d’infirmière, son mari, sa fille, ses parents composent un purgatoire résidentiel, l’effroyable machination du rien.

 

On apprend que la grand-mère de cette jeune femme qui s’excuse constamment (d’exister?) est morte en couches à 35 ans, laissant une petite fille de cinq ans, la mère d’Emma. Y aurait-il une fatalité dans certaines familles qui incite aux disparitions? Tout au long de la pièce d’ailleurs il y a une surimpression entre passé et présent qui laisse aux fantômes l’opportunité de revenir en même temps qu’une curieuse nostalgie sans mémoire ni souvenirs.

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Ce texte remarquable pas sa densité et son urgence est défendu par des comédiens qui, visiblement, vivent de l’intérieur d’eux-mêmes cet épouvantable drame. Le retour de Vincent Gratton au théâtre dans le rôle du père d’Emma ne laisse aucun doute sur son talent. Josée Deschêne compose une mère à la fois attachante et exaspérante, pleine de bonne volonté mais qui n’a pas su décoder cette enfant qui demeure pour elle une étrangère. Élisabeth Chouvalidzé (qu’il fait toujours plaisir de voir), Maxime Robin et Tatiana Zinga Botao endossent plusieurs personnalités avec acuité et justesse alors que Reda Guerinik en conjoint donne toute la mesure du bon gars un peu maladroit qui ne voit rien venir. Et Geneviève Boivin-Roussy est extraordinaire dans le rôle d’Emma, capable de nous faire saisir le vide immense qu’elle n’a jamais réussi à combler, ce lien émotif, cette entente secrète et idéale qu’elle n’a jamais trouvés. Elle est déchirante et bouleversante lorsque saisi de vertige, son personnage se désintègre dans un précipice de désespoir. Mais il y a aussi Éléonore Loiselle  (vue dans La déesse des mouches à feux) qui vient à la fin en Nina adolescente s’adresser à cette mère qui l’a abandonnée dans une scène peut-être vraie, peut-être imaginée : un moment qui vous suffoque d’émotion de par sa force et qui vous chavire le cœur complètement.

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La mise en scène de Sylvain Bélanger a évoqué pour moi une chorégraphie où chacun occupe la place qui lui est destinée. Complétée en cela par la scénographie et les éclairages épurés de Cédric Delorme-Bouchard, Ceux qui se sont évaporés est l’exemple parfait d’un texte mis en valeur par une mise en scène stratégique. Ajoutons que les costumes de Julie Charland contribuent à définir chacun des personnages, parfois avec ironie, entre autres avec la veste chatoyante dont est revêtue Emma alors qu’elle se décompose de l’intérieur et désire plus que tout disparaître.

 

Emma a voulu être un paysage qu’on laisse derrière soi quand on marche et dont on garde un souvenir flou. J’ai retenu que même cet amour immense qu’Emma porte à sa fille, un amour qui peut peut-être guérir de l’égoïsme, de la solitude et du désenchantement ne suffit pas. Sauf que, à cause de cette fille, à cause de Nina, le nom d’Emma et tout ce qu’elle a voulu effacer reste tout de même souligné à jamais.

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Valérie Remise

Ceux qui se sont évaporés : au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 28 mars 2020.


08/03/2020
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Courir l'Amérique au Quat'Sous: manque de cohérence

Courir l’Amérique, un texte de Patrice Dubois et Alexandre Castonguay présenté sur la scène du Quat’Sous, est un curieux objet. La scène est nue sauf pour une caisse de bois installée au milieu et quelques chaises placées à l’écart sur la droite où prendront place huit personnes, des citoyens ordinaires. Les deux auteurs et comédiens sont accompagnés de Soleil Launière, une artiste Pekuakamiulnu multidisciplinaire.  Ça décolle avec Alex Castonguay se saisissant d’un micro et nous racontant qui était Étienne Brûlé, arrivé sur le continent avec Champlain en 1608. Étienne Brûlé était un coureur des bois, un aventurier en d’autres mots, un découvreur, un commerçant, un lien avec les tribus autochtones dont il avait appris la langue et aussi un homme aux multiples allégeances qui monnayait ses services au plus offrant. Alex Castonguay nous dit qu’il voudrait aussi parler d’Esther Weelwright, d’Emma Lajeunesse, de Guillaume Couture et de Robertine Barry, des noms qui disent bien peu de choses à la plupart des gens. Ces personnages historiques, appartenant davantage à la petite histoire qu’à la grande, sont les sujets de deux livres de Serge Bouchard et de Marie-Christine Lévesque. La genèse de ce spectacle étant une volonté de les sortir du néant et de trouver l’Histoire dans le présent.

 

Une genèse, oui, et on assiste littéralement à l’élaboration de ce spectacle, à sa conceptualisation, à des essais, à des erreurs et à des bifurcations. C’est passionnant des bouts, ennuyeux et longuets à d’autres moments, c’est une pièce qui se fait et se défait sous nos yeux et le propos n’est pas toujours très clair.

 

Ainsi, Alex Castonguay nous entretient à plusieurs reprises de la tumeur au cerveau qu’il l’a affecté lorsqu’il avait 17 ans. Il a subi une opération, il a oublié des choses. Il nous parle de sa grand-mère, une maîtresse femme qui, après la mort de son mari, a été propriétaire d’un hôtel et a vécu sa vie à peu près comme elle l’entendait, alors que ça ne se faisait pas à l’époque. Il nous parle des livres de Serge Bouchard et de Marie-Christine Lévesque et raconte une anecdote à leur sujet. On apprend par la suite que l’anecdote est fausse.

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Le message m’a semblé dilué dans ce traitement éparpillé. Et il y a plein d’autres choses qui se passent dans Courir l’Amérique dont je ne vous parle pas. Que veut-on nous dire au juste? Que nous n’avons pas de mémoire? Que nous devrions nous intéresser à toutes ces figures qui ont été parties prenantes de notre histoire et qui ont sombré dans l’oubli? Que le souvenir n’est pas quelque chose d’exact, qu’il est souvent construit et prend souvent des libertés avec la vérité? Que la fiction est une façon d’arranger le passé? Que nous devrions vraiment accorder plus d’importance face aux disparitions de femmes autochtones, (car on traite de cela aussi)?

 

Je dois souligner la présence notable des femmes dont on parle dans ce spectacle, et dans la foulée de ce thème, il m’a semblé que Soleil Launière était sous-utilisée. Je souligne cependant les magnifiques hommages à ces faiseuses de pays, à des femmes comme Marie-Anne Lagimodière, née Gaboury, une exploratrice de l’ouest canadien qui est aussi la grand-mère de Louis Riel, une femme fascinante qui semblait n’avoir peur de rien. C’est un beau moment que celui-là; moins réussi est la façon dont on nous parle de Suzanne La Flesche Picotte. Les huit citoyens qui se trouvent sur le côté de la scène vont s’aligner au centre et jouer une espèce de jeu du téléphone où ils vont parler de cette femme, née de père métis francophone et première médecin autochtone aux États-Unis, en ajoutant un petit bout d’information sur elle alors qu’ils prennent la parole à tour de rôle. Ce ne sont évidemment pas des professionnels, alors il y en a qui ne se rappellent plus ce qu’ils doivent dire ou qui sont très nerveux, bref ce n’est pas une réussite et la répétition (18 fois en tout) des éléments de biographie de Suzanne La Flesche Picotte s’avère rapidement redondante. Mais encore là, peut-être s’agit-il d’un exercice servant à nous démontrer les failles de la mémoire.

 

Cette pièce a été inspirée par Ils ont couru l’Amérique et Elles ont fait l’Amérique de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, publiés aux Éditions Lux. Elle nous donne envie de les lire, ça, c’est sûr. Mais le résultat, pour iconoclaste qu’il soit, n’est pas concluant. C’est dommage car on sent que ce spectacle chaotique et insaisissable possède dans son essence la faculté de soulever l’enthousiasme et la fascination pour toutes ces personnes qui ont façonné le monde dans lequel nous vivons et dont on ne connaît pas les noms.

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Sylvie-Ann Paré

Courir l’Amérique : Une production du Théâtre PÀP, compagnie résidente au Théâtre de Quat’Sous, en coproduction avec le Petit Théâtre du Vieux Noranda (Rouyn-Noranda), et en collaboration avec le Théâtre populaire d’Acadie (Caraquet), le Théâtre du Nouvel-Ontario (Sudbury), le Théâtre Cercle Molière (Winnipeg), la Troupe du Jour (Saskatoon) et CD Spectacles (Gaspé). Au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 28 mars 2020.


06/03/2020
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Hopetown de Pascale Renaud-Hébert: ambigu comme la vie peut l'être

La pièce de Pascale Renaud-Hébert, Hopetown, qui nous vient du Théâtre de La Bordée de Québec et qui est présentée à la Licorne, se déroule sous le signe de l’ambiguïté. Cela donne un texte rempli de non-dits, de tensions, de secrets sur lesquels on s’interroge lorsqu’on en est sorti.

Isabelle (Pascale Renaud-Hébert) est en vacances en Gaspésie avec son chum, Francis (Jean-Michel Déry). Dans une petite communauté, Hopetown, où ils vont s’acheter un sandwich au Subway local, Isabelle reconnaît derrière le comptoir son frère Olivier (Olivier Arteau) disparu depuis cinq ans. Olivier avait 16 ans lorsqu’il est parti de la maison familiale de Val d’Or, personne n’a jamais eu de nouvelles depuis.

 

Le frère et la sœur vont s’affronter, Isabelle veut des réponses, des explications qui justifieraient toute cette douleur qui les ont affectés, elle et ses parents (Nancy Bernier et Jean-Sébastien Ouellet). Olivier, manifestement très mal à l’aise, fébrile et nerveux, finit par lui dire qu’il ne les aime pas, qu’il ne les a jamais aimés et que s’il n’était pas parti, il se serait tué.

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Olivier est gai. Avec un père amateur de chasse et pêche, ça ne passait pas très bien. Il y a eu aussi la mort accidentelle (mais l’était-elle vraiment?) de son meilleur ami Julien, mort sur laquelle plane un brouillard que le texte ne dissipera pas. Et un incident impliquant le chien du voisin. À la demande d’Olivier, Isabelle accepte de se taire sur cette rencontre afin de ne pas causer davantage de chagrin à leurs parents.

 

Un an plus tard, Isabelle est enceinte de Francis et Olivier est revenu.

 

Je parlais de la fébrilité d’Olivier, la mise en scène de Marie-Hélène Gendreau en est aussi pleine mais en s’assurant aussi de faire très souvent dialoguer Isabelle et Olivier à chacune des extrémités de la scène, concrétisant ainsi la distance infranchissable qui les sépare. Le décor d’Ariane Sauvé, du Subway au bungalow des parents, comporte des tonnes de détails et d’accessoires qui ajoutent à l’impression de réalisme que l’on ressent. La musique de Josué Beaucage fait le pont entre les scènes et en accompagne d’autres de belle façon. Les dialogues s’entremêlent, frôlant parfois la cacophonie, les comédiens, tous excellents, expriment avec intensité des émotions contradictoires et des visions du passé qui ne correspondent pas du tout. C’est parfois un peu chaotique mais, littéralement, le reflet fidèle de ce que les humains peuvent être et ressentir. Mentionnons Nancy Bernier qui incarne Jeanne et qui remporterait haut-la-main la palme de la mère-la-plus-fatigante-du-monde, maladroite dans ses interventions auprès de ce fils prodigue, inepte dans ses tentatives de tendresse, une gaffeuse qui en dit toujours trop mais qui a bien sûr un cœur grand comme le ciel.

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Mais cette famille, et c’est tout que le fils hait et méprise, est tissée de médiocres programmes       de télé, de vacances à Cuba, de conversations vides de sens, de préoccupations bassement terre-à-terre. Il demeure que la vie de ces gens s’est arrêtée lorsqu’Olivier a disparu et ce n’est pas parce qu’ils sont désespérément ordinaires qu’ils ne souffrent pas.

 

Pour Isabelle, toute vérité n’est pas bonne à dire. Olivier veut expliquer les raisons de sa disparition mais sa sœur va le censurer pour éviter la peine qu’il causerait. Francis aussi aurait des choses à dire mais on l’en empêche. Le doute qui plane sur la mort de l’ami Julien et du chien et sur l’absence de compassion, d’empathie et de sentiment que manifeste Olivier m’ont fait me questionner sur les tendances peut-être psychopathes de ce jeune homme incapable d’amour. La fin de la pièce s’ouvre sur un monde de possibilités et sur une inévitable résignation devant ce qu’on ne peut pas changer. Et sur le fait que la vie ne peut être vécue sans une bonne dose de désespoir et d’incompréhension.

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Nicola Frank-Vachon

 

Hopetown : Une Production La Bordée et Collectif du Vestiaire, à La Licorne jusqu’au 7 mars 2020.


04/03/2020
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