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Hopetown de Pascale Renaud-Hébert: ambigu comme la vie peut l'être

La pièce de Pascale Renaud-Hébert, Hopetown, qui nous vient du Théâtre de La Bordée de Québec et qui est présentée à la Licorne, se déroule sous le signe de l’ambiguïté. Cela donne un texte rempli de non-dits, de tensions, de secrets sur lesquels on s’interroge lorsqu’on en est sorti.

Isabelle (Pascale Renaud-Hébert) est en vacances en Gaspésie avec son chum, Francis (Jean-Michel Déry). Dans une petite communauté, Hopetown, où ils vont s’acheter un sandwich au Subway local, Isabelle reconnaît derrière le comptoir son frère Olivier (Olivier Arteau) disparu depuis cinq ans. Olivier avait 16 ans lorsqu’il est parti de la maison familiale de Val d’Or, personne n’a jamais eu de nouvelles depuis.

 

Le frère et la sœur vont s’affronter, Isabelle veut des réponses, des explications qui justifieraient toute cette douleur qui les ont affectés, elle et ses parents (Nancy Bernier et Jean-Sébastien Ouellet). Olivier, manifestement très mal à l’aise, fébrile et nerveux, finit par lui dire qu’il ne les aime pas, qu’il ne les a jamais aimés et que s’il n’était pas parti, il se serait tué.

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Olivier est gai. Avec un père amateur de chasse et pêche, ça ne passait pas très bien. Il y a eu aussi la mort accidentelle (mais l’était-elle vraiment?) de son meilleur ami Julien, mort sur laquelle plane un brouillard que le texte ne dissipera pas. Et un incident impliquant le chien du voisin. À la demande d’Olivier, Isabelle accepte de se taire sur cette rencontre afin de ne pas causer davantage de chagrin à leurs parents.

 

Un an plus tard, Isabelle est enceinte de Francis et Olivier est revenu.

 

Je parlais de la fébrilité d’Olivier, la mise en scène de Marie-Hélène Gendreau en est aussi pleine mais en s’assurant aussi de faire très souvent dialoguer Isabelle et Olivier à chacune des extrémités de la scène, concrétisant ainsi la distance infranchissable qui les sépare. Le décor d’Ariane Sauvé, du Subway au bungalow des parents, comporte des tonnes de détails et d’accessoires qui ajoutent à l’impression de réalisme que l’on ressent. La musique de Josué Beaucage fait le pont entre les scènes et en accompagne d’autres de belle façon. Les dialogues s’entremêlent, frôlant parfois la cacophonie, les comédiens, tous excellents, expriment avec intensité des émotions contradictoires et des visions du passé qui ne correspondent pas du tout. C’est parfois un peu chaotique mais, littéralement, le reflet fidèle de ce que les humains peuvent être et ressentir. Mentionnons Nancy Bernier qui incarne Jeanne et qui remporterait haut-la-main la palme de la mère-la-plus-fatigante-du-monde, maladroite dans ses interventions auprès de ce fils prodigue, inepte dans ses tentatives de tendresse, une gaffeuse qui en dit toujours trop mais qui a bien sûr un cœur grand comme le ciel.

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Mais cette famille, et c’est tout que le fils hait et méprise, est tissée de médiocres programmes       de télé, de vacances à Cuba, de conversations vides de sens, de préoccupations bassement terre-à-terre. Il demeure que la vie de ces gens s’est arrêtée lorsqu’Olivier a disparu et ce n’est pas parce qu’ils sont désespérément ordinaires qu’ils ne souffrent pas.

 

Pour Isabelle, toute vérité n’est pas bonne à dire. Olivier veut expliquer les raisons de sa disparition mais sa sœur va le censurer pour éviter la peine qu’il causerait. Francis aussi aurait des choses à dire mais on l’en empêche. Le doute qui plane sur la mort de l’ami Julien et du chien et sur l’absence de compassion, d’empathie et de sentiment que manifeste Olivier m’ont fait me questionner sur les tendances peut-être psychopathes de ce jeune homme incapable d’amour. La fin de la pièce s’ouvre sur un monde de possibilités et sur une inévitable résignation devant ce qu’on ne peut pas changer. Et sur le fait que la vie ne peut être vécue sans une bonne dose de désespoir et d’incompréhension.

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Nicola Frank-Vachon

 

Hopetown : Une Production La Bordée et Collectif du Vestiaire, à La Licorne jusqu’au 7 mars 2020.



04/03/2020
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