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L'Inframonde de Jennifer Haley: science-fiction peut-être pas si lointaine

C’est très Westworld, cet Inframonde : un texte de Jennifer Haley que l’on peut voir à La Licorne et qui explore le thème d’une réalité virtuelle où tout est permis, où l’on peut laisser cours à toutes ses perversions sans qu’il n’y ait aucune conséquences puisque ce n’est pas vrai, n’est-ce-pas.

La pièce a été produite pour la première fois en 2013 et Westworld a débuté au réseau HBO en 2016, on peut donc affirmer que c’est dans l’air du temps que de s’interroger sur ces questions qui ont peut-être débuté sans qu’on s’en préoccupe beaucoup avec les jeux vidéo extrêmement violents où en incarnant un personnage on peut tuer des gens impunément en y prenant même du plaisir.

 

La scénographie et les costumes de Geneviève Lizotte nous plongent d’emblée dans ces univers parallèles : à droite, une salle d’interrogation, une table deux chaises, la sobriété incarnée, à gauche Le Refuge, cet endroit virtuel créé par Papa, bucolique avec son feuillage, son banc, sa balançoire, tout pour évoquer un délicieux jardin victorien où s’ébattent des enfants un jour d’été. C’est ce Refuge que visitent virtuellement des pédophiles afin d’assouvir des désirs inadmissibles dans nos sociétés.

 

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La détective Harrison (Catherine Lavoie) interroge un monsieur Roy qui préfère se faire appeler Papa (Yannick Chapdelaine). Elle questionne la légalité de ce monde où on peut se livrer à toutes les perversités et poser des actes interdits. Papa qui, dans la vie réelle est marié et n’a pas d’enfants, soutient qu’il offre là une soupape permettant aux pédophiles de se livrer à leurs propensions sans faire de victimes et qu’en fait il est quasi un bienfaiteur de l’humanité en sauvant ainsi des enfants innocents de potentiels prédateurs. Harrison n’est pas convaincue et questionne l’existence d’un endroit où on peut se livrer à toutes les exactions et perversions possibles et imaginables sans conséquences aucunes. Car toute la question est là : même s’il s’agit d’un monde virtuel, a-t-on le droit de faire le mal?

 

Harrison interview également Schmidt (Igor Ovadis), professeur au collège qui gagne misérablement sa vie et dont le compte de banque montre des rentrées d’argent suspectes. Lui aussi passe du temps au Refuge. Pourquoi? La détective décide d’envoyer un de ses collègues undercover. Dubois (Simon Landry-Désy) fera la connaissance d’Iris (Simone Noppen), une enfant de dix ans habillée d’une robe blanche avec une fleur dans les cheveux, une regard bleu, un sourire charmant, l’image même de l’innocence et de la pureté virginale, l’une de ces enfants à qui on peut faire tout ce qu’on veut puisqu’elle n’existe pas vraiment, n’est-ce-pas.

 

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À la mise en scène Catherine Vidal utilise avec bonheur tout l’espace restreint de la Petite Licorne. Mais j’ai éprouvé quelques problèmes avec la direction de comédiens. Yannick Chapdelaine, avec sa voix et sa prestance, habillé en dandy du 19ème siècle assure une composition sans faille de ce Papa fort discutable. Igor Ovadis est complètement touchant dans le rôle de Schmidt, un homme solitaire et perdu à la recherche de tendresse et on ressent toutes les contradictions avec lesquelles se débat Simon Landry-Désy en Dubois, visiteur improbable de ce Refuge. Mais les deux rôles féminins de Harrison et d’Iris représentent les maillons faibles de cette distribution. Catherine Lavoie ne fait montre d’aucune autorité dans son rôle de détective, elle semble ailleurs, pas convaincue du tout de l’importance de son personnage qui sera pourtant le révélateur de bien des choses. Simone Noppen, Iris, remporte la palme de l’incarnation de ce fantasme d’enfant parfaite et délicieuse mais la livraison de son texte laisse à désirer, la diction est molle et le ton pas toujours très juste. Le texte de Jennifer Haley est fort et prégnant et les deux comédiennes ne sont pas à la hauteur.

 

Le Refuge c’est le règne des pulsions incontrôlées, des sensations exacerbées à côté desquelles la vie normale semble irrémédiablement fade et sans saveur. C’est aussi le lieu où des créatures abîmées peuvent, semble-t-il, trouver un semblant de validation. Les questions éthiques soulevées par cette pièce sont nombreuses et elle mérite d’être vue. Car, soyons-en assurés, il n’est pas loin le jour où ces univers virtuels existeront. Je souhaiterais seulement qu’ils soient comme dans l’épisode San Junipero de Black Mirror : une sorte de paradis où l’on trouve le bonheur.

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Guillaume Boucher

 

Inframonde : Une Production Théâtre La bête Humaine en codiffusion avec La Manufacture, à La Licorne jusqu’au 3 avril 2020.



10/03/2020
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