C'est bien beau le théâtre, mais il y a aussi le Kentucky Derby
Le premier samedi de mai c’est le Derby du Kentucky, un événement vieux de 143 ans dans le monde équestre. Des quelque 35,000 chevaux pur-sang de trois ans en principe éligibles, seulement 20 vont participer à cette prestigieuse course. Et parmi ces 20 chevaux, on espère toujours que le gagnant remportera le Preakness (couru deux semaines plus tard à Baltimore) et le Belmont (trois semaines après en juin à New York) pour devenir champion de
Secretariat était la propriété d’une femme, Penny Chenery et en 1973 ce n’était pas évident dans cet univers d’éleveurs, d’entraîneurs et de propriétaires essentiellement de sexe masculin. Le jockey de Secretariat était acadien et s’appelait Ron Turcotte, son entraîneur, Lucien Laurin, était originaire de Joliette. Sous la houlette de cet improbable duo Secretariat a battu tous les records, courant le Kentucky Derby en 1 minute 59 secondes, le temps le plus rapide jamais enregistré, gagnant sans effort le Preakness et remportant le Belmont par 31 longueurs, ce qui ne s’était jamais vu avant et ne s’est pas reproduit depuis. Il a été le seul « athlète » à faire simultanément en juin 1973 la couverture de Time, Newsweek et Sport Illustrated. Lors de l’autopsie effectuée après sa mort en 1989 on s’est rendu compte que son cœur pesait
Après Secretariat et sa Triple Couronne de 1973, Seattle Slew a gagné en 1977 puis Affirmed en 1978. Puis, plus de grand champion cheval jusqu’en 2015. J’avoue avoir pleuré lorsqu’American Pharoah a réitéré l’exploit, comme on pleure lorsqu’on voit l’Histoire s’écrire sous nos yeux. Et voici une photo de Secretariat.
Tous les chevaux de course descendent de trois ancêtres : Godolphin Arabian, Darley Arabian et The Byerley Turk, des chevaux arabes qui se sont retrouvés en Angleterre au XVIIIème siècle et dont la beauté, l’endurance et la vitesse ont déterminé les critères auxquels doivent se soumettre, encore à ce jour, les pur-sang.
Les 20 chevaux qui vont courir samedi sont donc des descendants des fondateurs de la lignée et vont contribuer à la réputation du Kentucky Derby qui se veut les deux minutes les plus excitantes dans le monde du sport. Le réseau NBC, qui diffuse l’événement, en fait une émission de plus de quatre heures où on retrouve des segments sur les entraîneurs, les propriétaires, les chevaux aussi évidemment et à chaque année une histoire larmoyante de rédemption qui fera pleurer dans les chaumières. Il y a aussi de l’analyse, des spéculations, beaucoup de blabla et des conseils pour les paris. Car l’un des plaisirs consiste à aller mettre un petit deux sur le cheval qui, croit-on, l’emportera. On peut faire ça à Montréal à Place Dupuis où il y a un Hippo-Club. J’en ai fait une tradition dans ma vie. Je n’ai jamais gagné gros mais je n’ai jamais perdu beaucoup non plus. Et ça ajoute un je-ne-sais-quoi à la course. En 2002 j’ai parié sur le total underdog au Belmont, Sarava, qui était à 70 contre un. Il a gagné. Je sautais partout.
Ce qui démontre bien qu’on ne sait jamais avec les chevaux et que le résultat d’une course peut être totalement imprévisible : le favori peut être de mauvaise humeur ce jour-là, le deuxième favori peut avoir un abcès sous le sabot qui l’empêchera de donner sa pleine mesure. Malgré les apparences, ces bêtes sont d’une incroyable fragilité : en 2008 Eight Belles, une pouliche, est arrivée deuxième au Kentucky Derby. Elle n’avait pas aussitôt traversé la ligne d’arrivée qu’elle s’est écroulée, les deux chevilles avant brisées. On l’a euthanasiée immédiatement.
Les noms que les chevaux portent, et il y en a d’assez incroyables et poétiques, doivent être approuvés par le Jockey Club et ne pas dépasser dix-huit lettres. Cette année, par exemple, il y a un Thunder Snow, un Always Dreaming, un Classic Empire et un Practical Joke. Peu de femelles courent ces distances extrêmement exigeantes. Une fille de Secretariat, Lady Secret, a bien fait dans les courses où elle a couru mais ce sport demeure une affaire de gars, de chevaux, de gens riches aussi : un sport de rois ou de sheiks arabes mettant en scène la plus noble conquête de l’homme.
Y aura-t-il un autre champion de
Marie-Claire Girard