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Corps célestes de Danny Boudreault: tout ce que vous avez toujours voulu savoir...

Réalisatrice de films porno, Lili (Hélène de son vrai prénom), retourne dans sa famille après une absence de quinze ans. Sa mère, qui ne peut plus parler à la suite d’un anévrisme, l’a réclamée et Hélène, à son corps défendant, renoue avec ces gens issus du même sang mais chez qui elle se sent comme une étrangère.

 

Danny Boudreault, l’auteur, se sert de cette histoire présentée sur la scène du Théâtre d’Aujourd’hui, pour nous parler de sexualité. L’une des astuces dont il se sert est de faire parler Hélène en voix off comme si elle dirigeait une de ses productions pornographiques. Une sorte de mise en abîme, un regard distancié qui, en fait, nous ramène à l’essentiel du propos : un humain ne peut être complet sans être sexuel.

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La mise en scène d’Edith Patenaude dégage une densité nerveuse, il y a un sentiment de danger, de quelque chose d’inéluctable qui flotte au-dessus de la tête des protagonistes. Et certaines scènes reproduisant des œuvres d’art sont d’une extraordinaire beauté. La scénographie de Patrice Charbonneau-Brunelle avec ces rideaux gris diaphanes utilisés pour cacher ou révéler sont partie intégrante du discours que l’on entend.

 

Et les comédiens ont été dirigés de main de maîtresse : Évelyne Rompré et Gabriel Favreau se démarquent avec les scènes les plus émotives et les plus intenses. Le personnage d’Isaac, cet ado brillant et trop curieux est rendu avec force par Gabriel Favreau. Je me demande cependant pourquoi le personnage de Florence (Évelyne Rompré) utilise au début une diction qui semble forcée et qui n’a rien à voir avec le milieu où elle vit et avec son allure de bûcheronne. Cette petite irritation s’est vite estompée devant la performance remarquable de la comédienne qui donne ici la pleine mesure de son talent. Louise Laprade, qui ne retrouve la parole qu’à la fin, assure une présence constante et altière, observatrice silencieuse des remous, excès et extravagances de sa progéniture. Julie Le Breton est solide en Hélène/Lili, catalyseur de tout ce qui se produit et Brett Donahue est parfait en James, victime de choc post-traumatique et pour qui le sexe n’est plus qu’un souvenir.

 

Je crois que cette pièce fonctionne si on s’attarde aux métaphores et aux symboles qui la parsèment. Car ce n’est pas nécessairement d’un abord facile. Ainsi on apprend qu’il y a une guerre dans l’Artique et on entend au début le bruit des avions de combat. Qui dit guerre dit invasion, viols, atrocités. Un orignal apparaît dans le jardin de la maison : allusion à la bestialité? Tourner des films pornos ne revient-il pas à faire preuve de l’ultime voyeurisme? La relation trouble entre Florence et Hélène relève-t-elle d’un quasi inceste? Par ailleurs les Louboutin d’Hélène fascinent Florence et Isaac, un fétichisme assumé ici sans complexe. James souffre d’impuissance depuis des années et Isaac, confiné au sous-sol de la maison est l’exemple du refoulement des pulsions les plus élémentaires, ce qui l’amènera évidemment à vouloir transgresser tous les interdits et tous les tabous. Il y a aussi l’omniprésence de la honte et de la pruderie dans le discours : car on ne parle pas de ces choses-là, n’est-ce-pas.

 

Mais je dirais que Danny Boudreault a voulu empiler le Pélion sur l’Ossa. Il y a tellement de références dans cette pièce que pendant que je me disais, ah oui, il nous parle de ceci sous le couvert de cela, je ratais quelque chose. Le texte, un mélange de propos crus et de conversations raffinées, est étoffé par des sous-entendus, des allusions et aussi un fascinant sous-texte qui nous dit en substance que tout se passe dans la tête et qu’il faut être intelligent pour prétendre à une sexualité épanouie. Hélène/Lili en fait d’ailleurs la démonstration en racontant comment un simple attouchement peut provoquer un orgasme. Ainsi le cercle vicieux devient un cercle vertueux, et le profane a la possibilité de se transformer en sacré.

 

Corps célestes est un texte ambitieux et provocant, une pièce almanach où on trouve tout et encore plus. J’en ai retenu qu’il est rare que nos besoins soient parfaitement comblés et que le romantisme est plutôt un empêcheur de tourner en rond. Mais d’abord et avant tout que la sexualité devrait être un vecteur de joie dans la vie en plus de constituer, si on est chanceux, un voyage au bout de l’inouï.

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Valérie Remise

Corps Célestes : Une production du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et de La Messe Basse, au Théâtre d’Aujourd’hui Jusqu’au 15 février 2020.



27/01/2020
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