Eden de Pascal Brullemans: ah! l'amour, l'amour...
Voici ma théorie sur l’amour : l’amour c’est la tête, le cœur et le cul. C’est rare d’avoir les trois à la fois, la plupart des gens se contentent de deux éléments, parfois d’un seul.
Sur la scène du Théâtre d’Aujourd’hui, le Collectif Petits Lapins propose Eden, une réflexion sur l’amour, justement, avec Justin Laramée et Émilie Gilbert qui forment un couple dans la vie depuis plus de vingt ans. Le titre fait peut-être allusion au jardin du même nom, à un endroit idyllique qui serait ce qu’on attend d’un sentiment puissant et réciproque. Qu’est-ce qui fait qu’on continue de s’aimer? Comment résister à la tentation de la nouveauté? Comment renouveler et nourrir l’entente parfaite du début d’une relation pour lui assurer une pérennité? Pascal Brullemans, dans son texte, tente de répondre à ces questions. Il ne le fait qu’en partie car l’amour comporte bien entendu sa part de mystère, son pouvoir d’attraction résidant dans le fait qu’on ne sait pas, qu’on ne saura jamais exactement, comment il se fait que ça fonctionne des fois, et d’autres pas.
Le décor de la salle Jean-Claude-Germain est composé d’un lit, d’une chaise, de quelques accessoires et d’un grand miroir où vont se refléter et se décupler, je dirais, ce que vont vivre Justin et Émilie. Le fait que l’auditoire se voit aussi dans ce miroir n’est certainement pas gratuit. Les histoires d’amour, réussies ou pas, se ressemblent toutes et n’importe qui peut se retrouver dans des pans du dialogue ou dans les moments vécus.
Le couple va donc vivre en accéléré les différentes étapes d’une vie. Des débuts romantiques aux conflits engendrés par les choix professionnels, en passant par la naissance d’un enfant (dont on ne parle pas beaucoup, j’ai trouvé) et par la lassitude qui s’installe, la tentation de sauter la clôture et la volonté de ranimer la flamme…Justin Laramée et Émilie Gilbert sont très convaincants évidemment, très justes dans ce spectacle qui prend le temps de s’installer, de souligner les situations et l’évolution de ce couple. Il y a peut-être un peu de remplissage et la pièce qui dure une heure trente aurait pu faire une heure quinze sans qu’on y perde au change. Mais la complicité et les échanges entre les deux personnages principaux font plaisir à voir et à entendre, ils sont charmants et attachants et on voudrait devenir leurs amis.
Dany Boudreault, en manteau de fourrure et en talons aiguilles rouges, est le commentateur, le chœur grec, l’ancrage chronologique d’Eden. Il joue avec panache, merveilleusement divertissant et totalement lucide, tout en manifestant une certaine tendresse devant ces deux êtres à la recherche de réponses qui n’existent pas. Il nous permet aussi de suivre Justin et Émilie à travers la mouvance de la société québécoise alors qu’il soliloque sur les événements qui constituent la toile de fond de cette histoire d’amour.
Pascal Brullemans se questionne, comme bien des gens, sur la possibilité d’un amour qui dure toute une vie, même une fois le désir enfui. Oui, ils vont continuer de s’aimer, contre vents et marées mais la fin m’a semblé emprunter la voie de la facilité avec une pirouette qui occulte la vieillesse commune, les souvenirs de toute une vie partagée pour s’attarder à beaucoup de bons sentiments dans un contexte que j’ai trouvé plaqué. Eden est intéressant mais j’aurais voulu voir jusqu’à la fin le réel dans toute son ampleur et son ambivalence. L’impression qui m’est restée est que l’auteur a eu peur d’aller voir où ses pas allaient le mener.
Crédit photo : Valérie Remise
Eden : Une production du Collectif Petits Lapins, au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 7 décembre 2019.