Fanny et Alexandre: une pure merveille
Cette merveilleuse production du Théâtre Denise-Pelletier est un prodigieux hommage à l’enfance et à l’imaginaire. Fanny et Alexandre nous séduit dès l’entrée en matière et ne nous lâche plus pendant toute la durée du spectacle. Sophie Cadieux et Félix-Antoine Boutin ont adapté et mis en scène le film d’Ingmar Bergman avec tendresse, soulignant le familier et l’étrangeté d’une enfance qui a déterminé la carrière et le chemin d’un des plus grands cinéastes de tous les temps.
Une enfance qui s’est déroulée dans le milieu du théâtre avec un côté à la fois saltimbanque et à la fois bourgeois. La famille de Fanny et Alexandre possèdent un théâtre, se situant ainsi dans le domaine du profane au sein d’une société suédoise vivant selon les sévères et pas très rigolos principes de la religion luthérienne. Mais chez les Ekdahl, on rit, on chante, on s’amuse, on déclame du Shakespeare, on invente des histoires à dormir debout et, surtout, on s’aime et on manifeste son affection. Alexandre (extraordinaire Gabriel Szabo) est l’observateur, emmagasinant des images, des sons, des situations, tout ce dont il se servira plus tard pour créer.
Mais cette famille où la bienveillance est la norme sera détruite par la mort d’Oscar (Steve Laplante, toujours juste et attachant), le père des enfants. La mère, Émilie (Ève Pressault, affichant une vulnérabilité que l’on ne comprend que trop), croyant bien faire se remarie avec un évêque (Renaud Lacelle-Bourdon, toujours étonnant dans le registre qu’il manifeste dans chacun de ses rôles au théâtre). Cet homme va imposer à Émilie et aux enfants, habitués à la bohème et au bonheur, une existence morne et ascétique assortie de privations et de châtiments corporels. Nous allons souffrir avec eux, nous émouvoir avec eux, avoir peur avec eux.
Fanny (Rosalie Daoust, exquise d’un bout à l’autre) et Alexandre se réfugient dans l’imaginaire. Alexandre surtout verra une échappatoire dans la fiction afin de tenir à distance cette cruelle réalité. À cause du théâtre, il a vécu toute sa vie dans l’illusion et même dans cet austère presbytère où tout élan de créativité est sévèrement réprimé, il réussira à demeurer lui-même. Il est heureux qu’on ne puisse pas casser les Alexandre et les forcer à une ennuyeuse conformité.
La mise en scène met tout cela en relief, et c’est extrêmement réussi. La seconde partie de la pièce nous laisse voir l’arrière du décor, les coulisses de la scène, ajoutant une autre strate à la belle scénographie de Romain Fabre. De même, Alexandre fait parfois allusion au film de Bergman, hommage bien senti dont l’essence est demeurée intacte.
Annette Garant incarne une adorable grand-mère, toute de joliesse et de tendresse. Luc Bourgeois est fantastique, comme d’habitude, en fidèle ami de la famille qui contribue à libérer les enfants et leur mère de leur terrible prison. Ariel Ifergan et Patricia Larivière sont également parfaits. Cette distribution est de haut-vol et a été dirigée avec un doigté exquis dans cette transposition d’un film admirable qui donne une pièce qui ne l’est pas moins.
Le théâtre est le miroir du monde et dit plus sûrement le vrai que la réalité. C’est ce que la pièce Fanny et Alexandre réussit magistralement : nous faire accéder à la sagesse non par la représentation des choses mais par les émotions et les réflexions provoquées. La vérité et le mensonge se révèlent interchangeables lorsqu’on crée, le vrai rejoint le rêve et l’imagination a élaboré dans ce très beau spectacle tout un univers fourmillant à découvrir avec un étonnement toujours renouvelé.
Marie-Claire Girard
Crédit photo : Gunther Gamper
Fanny et Alexandre : au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 23 février 2019.