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Héritage de Lorraine Hansberry: le South Side de Chicago en 1959

La pièce de Lorraine Hansberry jouée pour la première fois en 1959 sur Broadway et que l’on peut voir au Théâtre Jean-Duceppe n’a pas vieilli en ce qui a trait aux thèmes qui y sont traités. L’assimilation raciale, l’héritage afro-américain, la place des femmes qui revendiquent l’égalité, l’intégration des noirs au sein de communautés blanches et surtout le regard posé sur une personne de couleur qui s’acharne à sortir de la pauvreté et de la médiocrité.

 

Ces thèmes étaient révolutionnaires à l’époque et ont été amenés sur scène par une jeune auteure de 28 ans qui a transposé l’histoire de sa famille afin de dénoncer et de provoquer une prise de conscience. Une autre révolution résidait dans le fait que, pour la première fois dans l’histoire du théâtre américain, la distribution était composée exclusivement de comédiens noirs, sauf pour un petit rôle.

 

Les Younger sont pauvres, Lena, l’aînée du clan, est la mère de Walter, (marié à Ruth et parents du petit Travis), et de Beneatha, 20 ans, qui étudie au collège et rêve de devenir médecin. Ce qui est inhabituel dans ce milieu où Walter est le chauffeur d’un riche homme blanc et où Lena et Ruth font des ménages et la cuisine pour des familles mieux nanties, blanches évidemment. Toute la famille attend un chèque, un règlement d’assurances suite à la mort du mari de Lena. Et tout le monde a son idée sur l’utilisation qu’on devrait faire de cet argent (dix mille dollars, près de quatre-vingt-sept mille en dollars de maintenant) : Lena rêve de quitter ce quartier pauvre et de posséder sa propre maison; Beneatha veut poursuivre ses études et Walter souhaite investir dans un magasin qui vend de l’alcool. Conflits et frustrations s’ensuivront.

 

On ne peut pas s’opposer à la vertu. Il demeure cependant que la dramaturgie de cette pièce est terriblement conventionnelle, rappelant les téléromans québécois de l’époque, (et on pourrait facilement établir des parallèles avec Les Plouffe): la matriarche et les membres de la famille évoluant sous son emprise, le désir de se sortir de la misère et les rêves qui les habitent tous. Les ressorts dramatiques sont gros comme des éléphants et on voit tout venir de très loin. Les personnages sont unidimensionnels, très typés, mais une fois cela admis on peut tout de même y trouver son compte.

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Le décor d’Eo Sharp est parfait : du shabby pas chic du tout : meubles élimés, cuisine inadéquate, porte qui aurait bien besoin d’un coup de peinture, salle de bain qu’on partage avec l’autre famille qui vit sur le même palier. L’espace hurle le manque de place et la promiscuité qui en résulte, c’est un appartement exigu dans le South Side de Chicago, envahi par les coquerelles mais que les femmes de la maison s’obstinent à garder d’une propreté maniaque. Le contraste avec les costumes d’Elen Ewing est saisissant. Les femmes sont vêtues de couleurs vives ou pastel avec des nuances délicieuses de roses criards, de jaunes vibrants, d’oranges percutants et les souliers ne sont pas en reste, clamant un regardez-moi! sans équivoque. Ce sont les vêtements qui transmettent le cœur et l’âme des personnages.

 

Peut-être était-ce à cause d’un soir de Première, mais le jeu des comédiens m’a semblé inégal, parfois sur-joué et rarement ressenti avec la force de l’émotion. On sentait un peu trop les directives de la mise en scène plutôt que l’implication réelle de ceux qui devaient nous amener dans ce drame lié à la race, à la domination blanche et au désir de se hisser dans l’ordre social. Tracy Marcelin, avec Beneatha, est la plus constante et assure une présence solide à ce personnage éminemment attachant. De son côté Myriam De Verger incarne une Ruth nuancée qui réussit à mettre de l’avant les contradictions qu’elle vit.  Par contre, Mireille Mettelus en Léna ne semble pas trouver l’équilibre entre toute la souffrance quelle a vécue, toute les injustices qu’elle a connues et cette porte ouverte vers une meilleure vie. Frédéric Pierre, avec Walter, en fait trop et en même temps pas assez et il y a souvent une baisse d’intensité dans son jeu.

 

Évidemment, on ne peut qu’applaudir cette initiative des directeurs artistiques du Théâtre Jean-Duceppe et souhaiter que cela se reproduise plus souvent et, j’espère, avec des textes issus de nos communautés. Il demeure qu’on se demande si, soixante ans plus tard, les choses sont vraiment différentes aux États-Unis. Lorraine Hansberry est morte en 1965, à 34 ans. Qu’aurait-elle écrit si elle avait vécu plus longtemps? On ne peut pas changer le passé, seulement l’avenir et le seul endroit où on peut le faire c’est maintenant.

 

Crédit photo : Caroline Laberge

Héritage : au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 5 octobre 2019.



09/09/2019
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