Ici: du Faubourg à m'lasse à Radio-Canada
La pièce da Gabrielle Lessard présentée à l’Espace Libre fait référence au classique Ici Radio-Canada entendu sur les ondes de la télévision et de la radio d’état depuis toujours. Mais il y a également cet Ici englobant le quartier Centre-Sud où la Maison de Radio-Canada a été érigée et a ouvert ses portes en 1973. Gabrielle Lessard fait état du milieu de vie, le Faubourg à m’lasse, qui a été détruit en 1963, forçant cinq mille personnes à quitter un endroit familier, archétype du milieu populaire canadien-français.
C’est à travers la voix de trois comédiens que les spectateurs se familiarisent avec ce qui s’est passé. Le personnage d'Anne Trudel est né dans ce quartier et y vit jusqu’à sa destruction. Pauvre et sans instruction, elle travaille en usine et sa vie sera chamboulée lorsqu’elle est amputée d’une jambe à la suite d’un accident de travail. Pour lequel elle n’est évidemment pas compensée. Catherine Paquin-Béchard nous fait effectuer un saut dans le temps : vivant à Sainte-Julie et rêvant de devenir actrice, c’est la tour de Radio-Canada qui la fascine dans les années 1990 et qui représente pour elle l’accomplissement de ses rêves. Sébastien René est le fils d’un journaliste de Radio-Canada. D’abord résident du Faubourg, où les carottes poussent dans l’asphalte, la famille déménagera tout près et le fils héritera du duplex familial tout en s’impliquant dans le domaine communautaire. Ces personnages ont des liens entre eux que nous découvrirons tout au long du spectacle.
Spectacle qui aurait gagné à être resserré. Un bon 40 minutes s’écoule avant que Radio-Canada ne soit mentionné et le texte va bifurquer vers la nécessité d’une radio d’état comme renfort et chien de garde de la démocratie, faisant état entre autres du Lundi de la matraque, le 24 juin 1968, jour de la Parade de la Saint-Jean-Baptiste sur la rue Sherbrooke et où était présent Pierre Eliot-Trudeau, a dégénéré en émeute. Élu Premier ministre du Canada le lendemain, ce serait à partir de ce moment-là que le financement de la Radio d’État commence à s’effilocher et que les nombreuses compressions qui suivront au cours des années affecteront la qualité et la portée de ce diffuseur dont le mandat est d’informer, éduquer et divertir.
D’autres thèmes sont abordés, entre autres la grève des réalisateurs en 1959, durement réprimée par les autorités. L’échange de la fin entre le propriétaire du duplex où habite la jeune actrice en devenir est savoureux : lui qui écoutait Atome et galaxie lorsqu’il était jeune, se souvient de la grandeur et de l’importance du diffuseur public lors de ses belles années. La jeune fille ne connaît rien de tout cela et apprend les choses avec étonnement. Et je pense bien que ce discours d’adressait aussi aux jeune public qui se trouvait dans la salle, ce qui est une excellente chose.
Magnifiquement éclairée par Cédric Delorme-Bouchard, la scène nue met en relief les projections du quartier disparu que l’on peut voir sur le mur d’arrière-scène. Rempli de bons moments et de bonnes intentions et servi par trois talentueux comédiens, Ici souffre cependant de ne pas vraiment trouver un fils conducteur fort. Les deux sujets abordés, ce Faubourg qui n’existe plus et Radio-Canada qui n’en a peut-être plus pour longtemps (certains conservateurs à Ottawa se feraient un plaisir de mettre la hache dedans) ne connectent pas vraiment et ne se fondent pas dans un tout harmonieux. Il y a dans Ici le matériau de deux pièces de théâtre, la tentative de les amalgamer demeure, hélas, un peu maladroite.
Marie-Claire Girard
Crédit photo : Sylvie-Ann Paré
Ici : à l’Espace Libre jusqu’au 6 avril 2019.