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Depuis des années, Alexandra reçoit des photos de son grand-père Jack, parti depuis longtemps sur les routes de l’Amérique. Ce grand-père adoré lui manque terriblement et elle est dévastée lorsqu’elle apprend sa mort. La dernière photo reçue montre Jack près d’un arbre mythique à Middlegate au Nevada, arbre où ont été accrochées des centaines de paires de chaussures. Alex va se rendre à Middlegate pour tenter de comprendre ce qui a pu pousser Jack à cette vie d’errance, pour lui rendre hommage d’une certaine façon et pour, en même temps, tenter de se trouver elle-même.

Cette pièce, Jack, présentée à La Licorne est de Marie-Pierre Proulx, jeune auteure franco-ontarienne et elle est tout simplement magnifique. Admirablement structurée, remplie d’une émotion contenue et de pointes d’humour irrésistibles, elle constitue un road-trip auquel on ne s’attend pas et qui nous entraîne avec élan dans une fuite en avant où on cherche quelque chose qu’on ne reconnaîtra qu’une fois qu’on l’aura trouvé.

Alex a 22 ans. Cela prend un certain courage pour partir ainsi, toute seule et se taper trois jours d’autobus pour suivre la trace de ce grand-père excentrique et attachant. France Huot qui joue ce rôle est parfaite : forte et vulnérable, optimiste et un peu craintive, elle connaîtra quelques mésaventures et fera des rencontres marquantes tout au long de ce périple. Mais on ne peut s’empêcher de penser que Jack est là, en gardien tutélaire et qu’il s’assure que rien de terrible n’arrivera à cette petite-fille adorée.

C’est Jean-Marc Dalpée qui incarne ce Jack plein de fantaisie, cet aventurier aux semelles de vent, ce survenant grand-dieu des routes. Mais il est aussi une multitude de gens, ceux qu’Alex trouve sur son chemin, et rarement aura-t-on vu chez un comédien une telle maîtrise du jeu. Dalpée est incroyable. Je l’avais déjà vu, et beaucoup aimé, dans des rôles dramatiques. Ici, il trouve une galerie de personnages à la hauteur de son immense talent : il est tour à tour drôle, naïf, ratoureux, charmant, touchant ou plein de duplicité en plus de réciter des extraits de On the road de Jack Kerouac, l’ultime baroudeur à qui on rend un hommage bien senti et dont la quête, belle et inachevée, est la métaphore de celle d’Alex qui lit On the road sur la route…

La mise en scène de Magali Lemèle est toute de sobriété. Avec ce texte et ces comédiens on n’a pas besoin de fioritures. Mais elle a aussi dirigé France Huot et Jean-Marc Dalpée avec beaucoup de doigté, les deux se complètent avec une harmonie qui ne se dément pas tout au long du spectacle et c’est un plaisir de voir ça. Comme c’est un plaisir d’entendre la musique tendance Bluegrass de Marcel Aymar qui scande la pièce et lui confère une atmosphère très particulière.

Alex va trouver un peu ce qu’elle cherchait, parallèlement elle va se découvrir un peu aussi, les mots de Jack Kerouac vont l’aider de même que le souvenir plein de tendresse de son grand-père Jack. Elle va traverser une bonne partie des États-Unis, faire une pause à Denver, puis à Reno avant de trouver Middlegate et cet arbre à chaussures qui a d’ailleurs vraiment existé. Et elle va réaliser que c’est lorsqu’on quitte les lieux familiers et le confort de notre quotidien routinier, que l’on découvre vraiment qui on est.

Cette pièce est un petit joyau comme on en voit rarement, tant par la qualité de son texte que par la superbe interprétation de ses deux comédiens. C’est un traité sur la liberté, sur ses entraves, sur la quête de soi, sur ce magicien verbal qu’était Jack Kerouac qui a cherché ce qui était introuvable sauf à l’intérieur de son cœur et de son âme. Ne manquez pas ça, ce n’est présenté que jusqu’à samedi prochain. Et ça mériterait de l’être bien plus longtemps.

Marie-Claire Girard

Crédit photo : Brian Côté

Jack : Une production du Théâtre du Nouvel Ontario présentée par La Manufacture, à La Licorne jusqu’au 14 décembre 2019.

La pièce sera en tournée en Ontario et dans l’Ouest canadien au printemps 2020.