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L'État de Normand Canac-Marquis, un duel d'idées et d'acteurs

Les choses sont parfois bien faites. Claude Poissant, le directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier, était sûrement au courant du fait qu’il y aurait des élections fédérales cet automne puisqu’elles sont maintenant à date fixe et cette idée de programmer à ce moment-ci à la Salle Fred-Barry cette création du Théâtre La Rubrique de Jonquière ne peut mieux tomber. Les questions soulevées dans L’État sont d’une pertinence quasi effrayante et risquent de provoquer des discussions enflammées à la sortie du théâtre. Ce qui est fort bien.

 

L’État  de Normand Canac-Marquis c’est le nom de ce quotidien dirigé par François Speilmann (Robert Lalonde) et dont l’ex-femme, Solange (Louise Laprade), est l’éditorialiste. Le journal connaît des difficultés financières (tiens, tiens) et se débat pour garder la tête hors de l’eau à la veille d’élections où le chef de l’opposition devrait prendre le pouvoir et débarrasser la population d’un gouvernement corrompu. Mais Solange, une excentrique, oui, mais à l’intelligence redoutable, a écrit un éditorial révélant un scandale impliquant ce chef de l’opposition. Si cet éditorial est publié l’élection, qui semble dans la poche, pourrait être remise en jeu.

 

La mécanique de la pièce est simple mais diablement efficace. Solange nous dit son éditorial par bribes, entrecoupées par des scènes entre elle et son patron (et ex-mari, rappelons-le) et des interactions entre la secrétaire-réceptionniste (Monique Gauvin) et une jeune artiste (Josée Gagnon) qui restaure une murale à l’entrée de la rédaction. Le décor représentant un bureau est épuré, des écrans serviront à projeter les photos qui sont l’objet du délit et la mise en scène de Martine Beaulne met l’accent sur la force des dialogues et l’incroyable chimie qui existe entre les deux principaux comédiens. Car il faut voir Robert Lalonde et Louise Laprade s’affronter, se déchirer, se reprocher des événements qui se sont produits il y a plus de quarante ans. Et continuer, quelque part au plus loin de leur être, de s’aimer malgré tout et de se respecter profondément. C’est un magnifique duel d’acteurs auquel nous assistons et qui ne laissera personne indifférent.

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Et ils sont bien servis par le texte de Normand Canac-Marquis. L’ancienne journaliste de salles de nouvelles et d’affaires publiques que je suis a retrouvé ces éclats, ces phrases intelligentes et percutantes, ce vocabulaire riche et imagé ponctués de sacres bien sentis qui ont fait partie de mon quotidien pendant des années. Tout est juste, rien n’est forcé dans ces échanges intellectuels mais aussi terre-à-terre, où on discute politique avec des tonnes d’émotions dans une langue à la fois recherchée et familière.

 

La murale à l’entrée de la rédaction que restaure la jeune artiste mandatée par Patrimoine Canada représente un soldat debout brandissant un drapeau rouge alors qu’il foule du pied les cadavres de ses frères d’armes. C’est une imagerie très Guerre d’Espagne ou mieux, très soviétique, porteuse d’une lourde symbolique : la liberté ou la mort, le droit de s’exprimer mais au péril de sa vie ou de sa réputation. Ce drapeau rouge c’est cet éditorial capable de détruire les ambitions politiques de celui qui pourrait, qui sait, sauver l’État, le journal autant que la machine institutionnelle. C’est une pièce à voir pour les thèmes qui y sont traités et pour ces deux grands comédiens, Robert Lalonde et Louise Laprade, qui trouvent ici un véhicule à leur mesure, et aussi à leur démesure. Un bonheur, je vous dis.

 

 Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Frédérique Ménard-Aubin

 

L’État : Une production du Théâtre La Rubrique en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier, à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 12 octobre 2019.



26/09/2019
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