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La maladie de la mort de Marguerite Duras: l'amour comme impossibilité

Dans un décor rêche, un mur de béton/stuco possédant des affinités avec les représentations des failles géologiques, un miroir au plafond, une structure de métal et de panneaux noirs et un lit, vont s’affronter pendant une heure sur la scène du Prospero deux conceptions de l’amour. La maladie de la mort de Marguerite Duras reprend des thèmes chers à l’auteur dans cette mise en scène sage mais efficace de Martine Baulne.

 

Et les deux protagonistes sont Sylvie Drapeau (sublime comme toujours) et Paul Savoie. Ce dernier excelle dans la représentation d’une certaine rigidité, d’un refus de toute émotion et de tout sentiment devant une Sylvie Drapeau incarnant cette femme qu’il a payée pour passer quelques nuits avec elle et qui affiche une sensualité souveraine et un charme sulfureux. Ils vont parler d’amour et ne se comprendront jamais. Car celui qui est atteint de la maladie de l’amour ne le sait pas.

 

Marguerite Duras, comme dans bien d’autres textes d’ailleurs, fait ici l’apologie du corps et du sexe de la femme, de l’essence de ce qui fait qu’une femme est femme. Sylvie Drapeau livre son propos avec une passion retenue et un regard pétillant mais aussi plein de vulnérabilité. Paul Savoie joue le rôle du mâle cérébral qui intellectualise tout et qui ne peut baisser la garde et s’abandonner même s’il effleure parfois ce qui pourrait devenir une ouverture sur l’amour. C’est Duras, évidemment. Il y a tous ces mots qui s’entrechoquent, ces images bizarres suggérées par des agencements de vocabulaire inédits, ces émotions s’exprimant dans les failles d’une âme, le vol d’un oiseau, la mer qui est noire, une certaine façon de dire les choses qui est unique et sur laquelle il faut se concentrer. C’est le genre de pièce où rien ne se produit vraiment mais dans laquelle un bout du dialogue, ou ce qui en tient lieu, nous indique que quelque chose de crucial vient de se produire.

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La romancière et dramaturge parle de l’amour et de la souffrance comme elle seule peut le faire : de façon crue et en même temps abstraite. Son expérience au cinéma lui a fait saisir l’importance du regard et de sa subjectivité, elle a compris qu’il n’y a pas une vérité mais plusieurs et que ces vérités dépendent du point de vue où on se place, tout comme la caméra qui ment ou qui révèle. Nous sommes tous notre propre directeur-photo. Et ce qu’elle nous fait appréhender c’est que nous ressentons beaucoup plus profondément qu’on pourrait le croire et que la peur qui nous habite, comme elle habite l’homme de La maladie de la mort, fait de nous des êtres timorés qui préfèrent une vie lisse à une existence chatoyante  qui peut aussi se muer en enfer. Elle reprend cette phrase qu’elle met cette fois-ci dans la bouche de la femme : la seule façon de vivre un amour c’est en le perdant avant qu’il ne soit advenu.

 

Bien sûr que ce spectacle, qui ne dure qu’une heure, ne s’adresse pas aux amateurs de films d’action avec des poursuites haletantes et des autos qui explosent. Mais voir, entendre, lire du Duras nous rappelle que c’est notre cerveau, où se produisent toutes sortes d’interactions chimiques et d’échanges entre de minuscules neurones, qui est le siège de nos émotions et d’où tout découle. Et  il est souhaitable de se le rappeler de temps en temps.

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Émilie Lapointe

La maladie de la mort : Une coproduction Le Groupe La Veillée et le Collectif d’Artistes Les Immortels, au Prospero jusqu’au 15 février 2020.



31/01/2020
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