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La Queen's: celle qui s'en va et celle qui reste

La nouvelle pièce de Jean-Marc Dalpé, La Queen’s, présentée à La Licorne s’amorce avec une Sophie (Dominique Quesnel) déchaînée chantant du disco Karaoké dans le bar d’un motel de Timmins, dans le nord de l’Ontario. Sophie est, avec sa sœur Marie-Élizabeth (Marie-Thérèse Fortin) l’héritière de ce motel, disons-le, un peu miteux, suite à la mort de leur mère.

 

Marie-Élizabeth est une pianiste de concert de grand talent et parcourt le monde en s’efforçant d’oblitérer ces racines qui n’ont rien de prestigieux. Elle a adopté un autre accent, vit dans un univers de chambres d’hôtel luxueuses et crache sur ses origines. Sophie est restée. Mal dégrossie, bourrue, à la fois jalouse et admiratrice de cette sœur aînée, elle fait tourner la baraque avec son mari Moussa (Hamidou Savadogo) et se contente de ce monde étriqué mais familier dans lequel, sans nul doute, elle trouve un certain réconfort. Mais Marie-Élizabeth veut vendre le motel. Et alors qu’elle est à Saint-Pétersbourg pour y donner des concerts, c’est sa fille, Caroline (Alice Pascual) avocate et héroïnomane habitant Montréal, qui est mandatée pour régler les détails de cette vente.

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Faut-il renier d’où l’on vient pour réussir? Faut-il se renier soi-même et endosser une autre personnalité, se construire une légende, cacher ce qu’on trouve laid, vulgaire ou trivial? À quoi peut servir ce déni qui ne relève en rien du sacrifice? La Queen’s pose ces questions avec beaucoup de vitalité, d’entrain et d’humour, le tout enchâssé dans un questionnement sérieux sur l’importance des régions, de ces terres de Caïn où il fait moins 60 l’hiver et où il faut trois correspondances d’avions pour se rendre.

 

Oui. Les régions. Car dans l’équation se trouve aussi Marcel (David Boutin), petit investisseur qui veut acheter le motel car il voit un brillant avenir dans le développement des mines de diamants. Jean-Marc Dalpé est un observateur de notre temps. Avec lui, dire la chose c’est mieux que la montrer et son texte est peut-être une métaphore ce qu’il redoute de devenir. S’il nous interpelle et nous bouscule, c’est sûrement parce que lui-même a été interpellé et bousculé.

 

Le tout se déroule dans le beau décor dépouillé de Patricia Ruel. La chanson Is there all there is de Peggy Lee vient ajouter une dimension supplémentaire au personnage de Marie-Élizabeth (comment ne pas aimer une pièce où on entend Peggy Lee?) Et nous avons l’occasion d’assister à un duel de tigresses lorsque les deux sœurs s’affrontent. David Boutin est superbe en investisseur véreux et opportuniste, maniant de façon hilarante la langue parfois bâtarde des francophones du Nord de l’Ontario. Hamidou Savadogo est parfait en pilier de Sophie, voix de la raison (qu’elle n’écoute pas) face aux excès de cette femme qu’il aime. Et Alice Pascual tire habilement son épingle du jeu dans ce rôle émotif de Caroline, junkie dont les bonnes intentions seront torpillées justement à cause de sa dépendance.

 

Mais voir Dominique Quesnel et Marie-Thérèse Fortin se déchirer, s’engueuler, se détester est vraiment jouissif. Deux grandes comédiennes mordent dans ce texte vibrant et coloré aux dialogues emportés et incisifs et le rendent encore meilleur. C’est de l’or, ça monsieur.

 

Timmins, dira Marie-Élizabeth, c’est pauvre, laid et arriéré. Le Nord est une supercherie et il n’y a pas d’avenir dans cette terre d’épinettes où pousse un blé rachitique. Pourtant Sophie y est restée. Et y a trouvé une sorte de bonheur et des moments de joie. Parce que ce motel, La Queen’s, c’est son ancrage et la validation de toute son existence. Même si c’est pauvre, laid et arriéré.

 

Crédit photo : Suzanne O’Neill

 

La Queen’s : à La Licorne jusqu’au 23 février 2019.



17/01/2019
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