Le malade imaginaire de Molière au Rideau Vert: et ben...
Je ne savais pas que Molière était l’ancêtre de Feydeau. Ce que le Rideau Vert nous propose avec ce malade imaginaire relève davantage du théâtre de boulevard et de la grosse farce grasse que du théâtre classique Il y a tout et n’importe quoi là-dedans.
Je suis bien d’accord avec le fait de dépoussiérer les classiques : le metteur en scène Michel Monty nous avait proposé il y a quelques années, toujours au Rideau Vert, un formidable Misanthrope campé dans notre époque qui démontrait avec beaucoup de savoir-faire la pertinence et la modernité de Molière. Tout cela en respectant l’esprit et la lettre du dramaturge.
Mais là, au secours! Le rideau s’ouvre sur Argan (Luc Guérin) assis dans son fauteuil avec une tuque du Canadien sur la tête. Le décor de l’appartement est contemporain. À l’arrière il y a une armoire de métal surchargée de flacons, pansements, gazes, sirops, purgatifs, pastilles, onguents etc., toute une pharmacopée qui, pour Argan, est essentielle à son existence d’ hypocondriaque. Violette Chauveau incarne une Toinette débordante de vitalité et de bon sens, prête à comploter avec Angélique, la fille d’Argan, pour qu’elle puisse épouser son chéri, Cléante (Maxime Mompérousse) et ceci à l’encontre des désirs d’Argan qui veut la pousser dans les bras d’un médecin, le fils débile du docteur Diafoirus. Toinette et Angélique devront compter avec Béline, la deuxième femme d’Argan, qui ne désire rien tant que voir Angélique entrer au couvent afin de se retrouver seule héritière de la fortune de notre malade imaginaire.
Tout cela est joué de façon excessive et caricaturale. Mais bien sûr que ça marche : Benoît Maufette nous donne un notaire inquiétant à souhait et un frère d’Argan un peu trop porté sur le scotch; Didier Lucien fait une entrée très, très remarquée en Docteur Purgon, affublé de plumes de corbeaux (illusion au Nevermore d’Edgar Allan Poe, peut-être?) grand amateur de clystères devant l’éternel; Patrice Coquereau et Frédérick Tremblay en Diafoirus père et fils sont habillés en vampires sado-maso (je ne sais pas comment décrire ça autrement). Frédérick Tremblay se livre par ailleurs à un véritable numéro de bravoure en personnifiant le prétendant le plus inadéquat qui soit et le plus grand benêt que la terre ait jamais porté, au grand désespoir d’une Angélique (Anne-Marie Binette) aussi juvénile que passionnée. Luc Guérin est excellent, on en attendait pas moins de lui, et Violette Chauveau exagère dans tout avec un humour piquant. Les portes claquent, ça entre, ça sort, ça se déguise, il y a des musiciens aussi et un intermède très bizarre où des clowns ou des bouffons (je pense) viennent voir Argan pour lui chanter une chanson de la Bolduc. Je crois aussi qu’Argan a une Apple Watch pour lui rappeler de prendre ses innombrables pilules et médicaments.
Et il y a Béline. Aaaaaahhhhh! Béline. C’est Émilie Lajoie qui joue ce rôle avec un accent de quartier populaire et c’est une réussite. Le français du 17ème avec cette voix issue des faubourgs produit un effet irrésistible : on ne s’y attend tellement pas et pourtant c’est plein de bon sens : jeune et belle, sans éducation et sans culture, Béline a épousé un vieux riche dans l’espoir de le voir crever rapidement et d’hériter de sa fortune. Ses vêtements, paillettes, épaulettes, maquillage outrancier et coiffure de blonde évaporée, nous rappellent les meilleures années de Dynasty. Chacune de ses apparitions alors qu’elle mâche toujours de la gomme, est un bonheur et je pense que c’est le coup de génie de cette mise en scène que d’avoir donné à ce rôle une telle dimension comique. Béline, ici, se révèle phénoménale, un véritable archétype.
C’est certainement le Molière le plus échevelé que j’ai jamais vu. Et le résultat est très divertissant. Je ne veux pas être puriste (trop) et réclamer qu’on joue Molière toujours en costumes du 17ème et avec les décors à l’avenant, mais ici les excès de la mise en scène et les extravagances du jeu couplés à des dictions souvent défaillantes se déclinent au détriment de la finesse contenue dans ce texte qui se veut une charge contre l’incompétence des médecins de l’époque qui soignaient à coup de saignées et de purgations, un texte qui dénonce aussi l’aveuglement des bien-nantis et qui nous parle également de la peur de la mort. Oui, je me suis amusée mais je ne sais pas trop s’il faut se jeter à genoux en poussant des cris d’admiration ou crier au sacrilège.
Marie-Claire Girard
Crédit photo : Jean-François Hamelin
Le malade imaginaire : au Rideau Vert jusqu’au 29 février 2020, et il y a des supplémentaires.