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Le meilleur des mondes: le meilleur du théâtre!

J’ai bien peur de manquer de superlatifs pour qualifier cette production du Théâtre Denise-Pelletier. Le roman d’Aldous Huxley, Le meilleur des mondes, qui date de 1932 a été revitalisé et modernisé de manière iconoclaste par Guillaume Corbeil dans une mise en scène vive et follement amusante de Frédéric Blanchette. Le résultat est fabuleux : une heure 45 de bonheur théâtral.

 

Dans cet univers réglementé au quart de tour, qui n’est pas sans rappeler le 1984 de George Orwell en moins brutal mais tout aussi insidieux, tout le monde est heureux. Les humains sont créés en laboratoire selon un système de castes, Alpha, Gamma, Delta… qui assure le bon fonctionnement de la société, les livres sont interdits et la sexualité est débridée.  Si on a quelque souci que ce soit, on consomme du Soma, ce qui évite de se livrer à des activités qui pourraient faire perdre des points de démérite. Tout ça ressemble sous bien des aspects à un épisode de Black Mirror  mais aussi, singulièrement, au monde dans lequel nous vivons.

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La beauté de cette production c’est que c’est à la fois terrifiant et très drôle. Frédéric Blanchette a choisi un décor pratiquement dénudé où les personnages vont et viennent et où quelques accessoires, dont un très mignon petit robot qui apporte la bière, nous donne tous les indices nécessaires pour comprendre devant quoi nous nous trouvons. Le metteur en scène met aussi l’accent sur le texte de Guillaume Corbeil qui définit les personnages dès le début, des personnages truculents aux prises, sans même qu’ils ne s’en rendent compte, avec un monde où le bonheur c’est aimer ce qu’on est obligé de faire.

 

Simon Lacroix est d’une drôlerie irrésistible dans le rôle de Bernard, un Alpha qui ne répond pas tout à fait aux critères de sa caste, follement amoureux d’une Lénina (Ariane Castellanos) pleine d’énergie qui ne l’aime pas en retour. Mohsen El Gharbi est franchement hilarant en Helmholtz et Macha Limonchik est resplendissante d’intelligence et d’humour dans les nombreuses incarnations qu’elle adopte sur scène. Ce casting merveilleux est complété par les tout aussi merveilleux Kathleen Fortin et Benoît Drouin-Germain, la mère et le fils, des sauvages qui vivent sur une réserve et qui ont refusé cette vie formatée.

 

Le sauvage, qui a un nombril (quelle horreur!) parce qu’il est né de façon naturelle, sait lire et est un amateur de Shakespeare. D’ailleurs Huxley avait pris son titre de Brave new world dans La Tempête. C’est le classique et très réjouissant thème de l’étranger dans un lieu clos qui bouleverse les certitudes et remet en cause ce que l’on prend pour acquis. Mais encore plus : c’est un hommage au théâtre, à la littérature et à la force de la pensée et de la réflexion et à l’émotion provoquée par les mots et la poésie qui peuvent être aussi des leçons pour mieux vivre.

 

Guillaume Corbeil a mis sa touche inimitable dans ce texte remanié avec une ironie et une dérision d’une extraordinaire lucidité. Il y a du théâtre dans le théâtre, du méta, et même une isotopie qui permet de relier tous les discours de cette pièce et de donner un résultat cohérent. Se dégage aussi de ce spectacle une folie contrôlée et une formidable ardeur où texte, comédiens et mise en scène se fondent dans une complète harmonie. Sans contredit, ce Meilleur des mondes est l’un des meilleurs spectacles de cette saison : c’est vraiment, terriblement, profondément bon. Que demander de plus?

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Gunther Gamper

Le meilleur des mondes : Au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 19 octobre 2019



30/09/2019
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