Les enfants de Lucy Kirkwood: l'avenir de la civilisation
Rose, l’un des trois personnages de la pièce Les enfants de Lucy Kirkwood présentée au Théâtre Jean-Duceppe, est physicienne nucléaire, comme les deux autres protagonistes. Elle dit, et je paraphrase, qu’à l’extérieur de leur spécialité, très pointue on s’entend et à laquelle la majorité des gens ne comprend rien, ils ne sont que des gens ordinaires.
Je connais trois physiciens nucléaires issus d’horizons divers. Ils sont bien entendu très intelligents et, non, je ne comprends rien à leurs thèses de doctorat ou aux travaux de recherche ou d’enseignement qui occupent leur vie. Mais ils ont tous en commun de s’intéresser à un million de choses à l’extérieur de leur univers hyper spécialisé : ils lisent, et même des romans, ils aiment le cinéma, ils apprécient l’art et parfois se livrent à des activités dans ce domaine, ils font du sport, bref ils sont super intéressants et vraiment pas ordinaires du tout. Alors que les trois physiciens nucléaires de la pièce de Lucy Kirkwood sont désespérants de banalité.
Il faut attendre un bon 50 minutes avant de savoir de quoi il retourne au juste, pourquoi Rose (Chantal Baril) est venue visiter ses ex-collègues, Adèle (Danielle Proulx) et Robin (Germain Houde) 38 ans après qu’ils aient cessé de travailler ensemble. Tous les trois ont eu des carrières dans le domaine de la physique nucléaire, tous trois sont retraités. Mais Adèle et Robin subissent les conséquences d’un grave incident qui s’est produit à la Centrale où ils travaillaient : catastrophe aux inévitables conséquences écologiques et qui a laissé autour de l’humble chalet où ils habitent maintenant, une vaste zone irradiée et toujours dangereuse. Il y a évidemment des échos de Tchernobyl et de Fukushima dans cette pièce.
Mais le problème que j’ai eu avec cette pièce, mise en scène de façon bien sage par Marie-Hélène Gendreau, c’est la fadeur et l’insignifiance qui caractérisent les propos tout d’abord de Rose et Adèle et ensuite de Robin qui se joint à elles un peu plus tard. Ce n’est qu’une suite de lieux communs jusqu’au moment, que j’attendais avec impatience, où Rose affiche la véritable raison de sa visite. Il y a aussi quelques autres révélations plus ou moins prévisibles, mais il est tout de même étonnant que trois physiciens qui se retrouvent ensemble n’abordent pratiquement pas la question de l’accident nucléaire qui a causé la chute d’une partie de la civilisation.
La dernière partie de la pièce est davantage intéressante : Robin et Adèle vont se retrouver devant un dilemme moral qui concerne Les enfants du titre, et pas les leurs nécessairement.
Ceci étant dit, c’est tout de même un grand bonheur que de voir ces trois excellents comédiens, Chantal Baril, Danielle Proulx et Germain Houde incarner Rose, Adèle et Robin. Je leur aurais souhaité davantage de substance à se mettre sous la dent, mais leur professionnalisme et leur charisme compense d’une certaine façon les carences du texte. Ils jouent dans un décor éco responsable représentant ce chalet qui se veut rustique entouré de signes indéniables de la catastrophe : branches d’arbres brisées et débris divers. Les coupures d’électricité se manifestent concrètement dans la corde à linge et le caveau où sont gardés au frais les aliments. Mais la ligne terrestre du téléphone fonctionne toujours et il y a même un cellulaire.
Le sujet de cette pièce, lorsqu’on y arrive enfin, est grave et pose des questions d’ordre éthique et moral d’une cruciale importance. Il est question aussi en filigrane d’une certaine rédemption et d’une consolation suite à des actes qui ont été posés et justifiés par le désir d’avancées scientifiques. Mais ces propos sont noyés dans un bouquet de trivialités et de détails insignifiants. Et c’est bien dommage. Les enfants aurait été une très bonne pièce de 75 minutes. Le problème c’est qu’elle dure 1 heure 45.
Marie-Claire Girard
Crédit photo : Caroline Laberge
Les enfants : au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 28 mars 2020.