Les filles et les garçons à La Licorne: la révélation d'une grande comédienne
Lorsque j’ai su que la pièce de Dennis Kelly, Les filles et les garçons présentée à la Licorne, durait une heure cinquante, le doute m’a assaillie. Une seule comédienne en scène pendant tout ce temps me semblait un pari risqué et plutôt inhabituel. Il faut du courage, beaucoup de maîtrise et pas mal de couilles pour relever ce défi.
Et bien, le résultat brille de tous ses feux. Il s’agit d’un texte fort interprété par une comédienne, Marilyn Castonguay, qui s’est révélée tout simplement extraordinaire tout au long de cette représentation où le spectateur est happé et captivé du début à la fin. Je m’incline devant le metteur en scène, Denis Bernard, qui a compris que Marilyn Castonguay n’attendait qu’un moment comme celui-là pour faire la démonstration de son incroyable registre et de son (très) considérable talent.
Une femme seule en scène, donc. Une scène dépouillée où il n’y a qu’un banc et, derrière, deux imposants panneaux mobiles percés de carrés où se trouvent les éclairages. Cette femme va nous raconter sa vie à partir du moment où elle décide d’y mettre un semblant d’ordre en entreprenant un voyage en Europe. Elle crie beaucoup, elle vocifère, on sent une personnalité qui n’est pas nécessairement facile, quelqu’un qui peut être difficile à aimer et à supporter. Mais elle est aussi follement drôle. Après un incident qui se produit dans un aéroport, incident du plus haut comique, elle va rencontrer celui qui deviendra son mari : un bon gars, un chic type qui l’encourage, la soutient et semble ravi de la réussite professionnelle de la grande extravagante qui partage dorénavant sa vie.
Un saut dans le temps : elle a maintenant deux enfants, elle travaille dans le milieu dont elle rêvait, fait ce qu’elle aime et ce dans quoi elle excelle. Elle pogne parfois les nerfs avec les petits. Normal. Parallèlement, le mari connaît une dégringolade professionnelle et la faillite de son entreprise. Et tout se déglingue. Jusqu’à un moment terrible, effrayant qui ne laisse pas un œil sec dans la salle.
La traduction du texte de Dennis Kelly par Fanny Britt est d’une justesse fabuleuse. Fanny Britt est une habituée de ce dramaturge et l’on sent cette complicité entre l’irlandais et la québécoise, la même sensibilité qui les unit, les mêmes thèmes qui se rejoignent. La musique de Fanny Bloom est parfaite, juste ce qu’il faut, n’exploitant pas le pathos, soulignant cependant de façon discrète mais déchirante des moments terriblement émouvants. Et Denis Bernard joue avec la fausse légèreté et la montée vers l’insoutenable des aspects plus dramatiques du texte. Il a su rendre cette histoire, hélas semblable à beaucoup d’autres (et qui va résonner chez-nous de façon bien particulière), passionnante et prenante du début à la fin. Car on ne voit pas le temps passer.
Marilyn Castonguay nous emprisonne dans sa main et ne nous ne lâche plus. La comédienne est transfigurée par ce texte et par ce rôle où elle donne sa pleine mesure. Jubilatoire, pleine de vivacité tout d’abord on la suivra pour vivre avec elle la plus grande souffrance qui soit. Sa présence forte et profondément humaine prend toute la place et illumine chaque mot, chaque geste avec la texture de ses émotions.
La pièce aborde, sans en avoir l’air, le sujet de la masculinité comme une forme de pathologie culturellement valable. Car c’est de cela qu’il s’agit à travers le prisme révélateur mais subtil de l’histoire qu’on nous raconte. Et c’est fait à petits pas, presque en catimini et l’impact final est d’autant plus percutant, croyez-moi.
Toute cette production est fantastique. Les filles et les garçons est à voir pour comprendre et admirer cette faculté qu’ont certains d’entrer en scène, de vous amuser beaucoup et de sembler ne rien prendre au sérieux et puis, petit à petit, de laisser toute la place à un déchaînement de violence qui va vous briser le cœur. C’est ce que Marilyn Castonguay fait et c’est inoubliable.
Crédit photo : Suzanne O’Neill
Les filles et les garçons : Une production de La Manufacture, à La Licorne jusqu’au 22 février 2020.