Les louves,
Elles ont 16 ans et elles jouent au soccer. Leurs conversations oscillent entre le génocide cambodgien et les produits d’hygiène féminine. Elles sont encore proches de l’enfance tout en étant presque des femmes, petites sirènes au bord de leur vie. Ce sont ces Louves, les neuf jeunes filles de la pièce de Sarah Delappe, présentée Off-Broadway en 2016 et qui a connu beaucoup de succès. L’Espace Go nous la propose dans une mise en scène dynamique et sensible de Solène Paré. Une mise en scène également très précise, très physique et affichant un impressionnant synchronisme.
À la traduction, Fanny Britt a gardé la couleur américaine de la pièce tout en adaptant le langage particulier des adolescentes, (les like à tous les deux mots étant remplacés par genre) et l’universalité du propos : les préoccupations, angoisses, situations que l’on retrouve dans Les Louves sont communes à toutes les jeunes filles de l’occident, un occident relativement privilégié, il faut le dire mais où cette génération s’interroge constamment devant des enjeux difficiles à cerner et parfois contradictoires. C’est l’adolescence au féminin dans toute sa laideur et sa beauté, exaspérante et touchante à la fois et qui nous rappelle la peine qu’il peut y avoir à être et à devenir.
La scène de l’Espace Go est occupée dans toute sa largeur par le terrain de soccer où les neuf jeunes filles s’entraînent. Entre deux étirements et exercices avec le ballon on entend leurs conversations se transformant parfois en cacophonie, comme dans la vie, quoi. On apprend à les connaître : la bolée qui sait plein de choses, la blonde très intéressée par les garçons, la petite maigre probablement anorexique, la timide qui ne dit jamais un mot. Tout l’éventail de la féminité se déploie sur scène en un microcosme reflétant le monde extérieur.
On s’attache à ces neuf filles qui vivent l’amitié dans un univers de compétition avec ce que cela comporte de problèmes. Une blessure peut détruite l’espoir d’obtenir une bourse dans une prestigieuse université, l’arrivée d’une surdouée du soccer représente le danger et peut-être l’ennemie à abattre, le coach masculin, qu’on ne voit jamais, a probablement un problème d’alcool et il faut aussi compter avec les mères excentriques ou indifférentes. Et si elles sont attachantes c’est que l’on sent ces jeunes comédiennes complètement investies dans leurs performances, véhiculant toutes les nuances de leurs personnages et toutes les émotions avec lesquelles elles sont aux prises.
Un drame va se produire, bouleversant les certitudes et l’ordre des choses que l’on croyait immuable. Ce sera l’occasion d’aller au-delà des irritants, des petites disputes ou des différents points de vue et de démontrer, par-dessus les déchirements, ce qu’est la solidarité. Et malgré quelques lacunes dans ce texte où on sent parfois un relâchement d’intensité, Les Louves nous laissent émerveillés devant la force de cette féminité qui ne craint pas de s’exprimer dans toutes ses déclinaisons.
Marie-Claire Girard
Crédit photo : Yanick Mcdonald
Les louves : Une coproduction Espace Go, Fantôme, compagnie de création et Théâtre français du CNA, à l’Espace Go jusqu’au 6 octobre 2019.