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M.I.L.F. de Marjolaine Beauchamp: un coup de poing en plein visage

La maternité apparaît souvent effrayante et mystérieuse, pour les hommes bien sûr, mais aussi et surtout pour celles qui la vivent. Exprimer son désarroi devant cette réalité biologique extrêmement exigeante est considéré comme subversif. Pendant ce temps, Instagram nous lessive le cerveau avec des images de femmes épanouies, parfaites, aux standards impossibles dont le corps ne semble avoir subi aucune avanie alors qu’elles sont entourées de beaux enfants tout aussi parfaits.

 

M.I.L.F. de Marjolaine Beauchamp, présenté au Théâtre d’Aujourd’hui, dénonce ces normes, ces diktats qui plombent toujours et peut-être davantage maintenant la maternité et l’idée abstraite qu’on s’en fait. M.I.L.F. pour Mothers I’d like to fuck, une expression issue de la pornographie internet, est un spectacle sans pitié qui nous laisse pantelants. C’est très dur et ultraréaliste mais avec un fond de tendresse et de compassion qui nous touche profondément. C’est sans concession et ça brise tous les tabous; ça s’inscrit aussi en faux face à cette glorification de la maternité que l’on trouve un peu partout, qui va de pair avec la répression d’un discours où des voix dissidentes se feraient entendre à savoir que mettre au monde et élever des enfants est un parcours de combattante.

 

Les comédiennes, Geneviève Dufour, Stéphanie Kym Tougas et Marjolaine Beauchamp, qui a écrit la pièce, nous accueillent dans un décor désordonné, bordélique : à droite une table avec l’équipement sonore, des micros qui parsèment la scène, à gauche une autre table recouverte d’objets hétéroclites dont un mini arbre de Noël, une boîte de Froot Loops et une pinte de lait en sac de plastique. Une jeune femme se dénude, se caresse et feint un orgasme. Une autre berce un bébé et lui raconte une histoire de baleine. Une troisième tente d’expliquer à un éventuel employeur le trou de deux ans dans son C.V. Elles sont toutes furieuses, elles manifestent toutes une colère incommensurable et ces trois comédiennes sont inoubliables.7

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À la fois mamans et putains, ces trois femmes se débattent dans la vie. Elles peinent à concilier la maternité avec leurs pulsions sexuelles et il faut bien dire que les hommes ne collaborent pas beaucoup en ce domaine, se révélant plutôt une entrave. Ces mères souvent indignes, qui crient après leurs enfants pour s’excuser auprès d’eux immédiatement, ces mères frustrées, malheureuses, qui n’ont jamais aucun répit, ces mères toutes croches, poquées, qui s’expriment crûment, sans filtre parce qu’elles n’en peuvent plus, on en connaît peu car un tabou intrinsèque interdit de parler de ces choses. Il y a des moments très dérangeants, des conversations spectaculairement cruelles dont celle entre une mère et sa fille qui se demande si sa génitrice éprouve des regrets. Tout cela nous est envoyé brutalement et c’est ce qu’il faut.

 

Une scène très forte est celle où de la musique heavy metal tonitruante nous agresse alors que les femmes bougent de façon incohérente. Tout de suite après on entend Love and mariage de Frank Sinatra, ultime démonstration de toute cette colère qui couve et qu’on empêche de se manifester en mettant l’accent sur le romantisme de pacotille institutionnalisé auquel aspirent toutes les jeunes filles.

 

Ce texte de Marjolaine Beauchamp est un cri, un rugissement de douleur qui m’a profondément touchée. Être mère implique de telles exigences qu’on se demande comment, humainement, on y arrive. Les déchirements entre l’égoïsme qui remonte à la surface et le dévouement qui est exigé des femmes créent un inconfort et une peine présents à chaque seconde de la vie. Il faut voir ce spectacle à nul autre pareil, complètement inhabituel qui brasse la cage pas à peu près. Ces trois incarnations de la maternité hurlent de désespoir et je suis sortie de la salle en me demandant combien de temps encore les femmes, comme Atlas, devraient porter sur leurs épaules la voûte du ciel.

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Valérie Remise

M.I.L.F. : Une création du Théâtre du Trillium en codiffusion avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, jusqu’au 7 mars 2020. Et il y a des supplémentaires le 29 février et le 7 mars.



21/02/2020
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