Sissi de Nathalie Doummar. Ou l'art d'exaspérer.
Je n’avais pas du tout aimé Coco de Nathalie Doummar, présentée à La Licorne en 2016. Cette fois-ci, la dramaturge nous propose sur la même scène Sissi, l’histoire d’une jeune femme née ici de parents égyptiens et qui rêve d’avoir des amis québécois. Elle a épousé un homme issu de sa communauté et a un fils de quatre ans. Ce thème de l’immigrant relativement isolé au sein de son monde et qui rêve d’entrer en contact, de vivre et d’être partie prenante de la culture de son pays d’accueil est follement intéressant mais ici il n’est qu’à peine effleuré. Parce que c’est la personnalité gossante et trop souvent exaspérante de Sissi qui prend toute la place.
Dans le décor sobre de Robin Brazill, blanc et gris où sont projetées sur un écran de jolies scènes à tendance oniriques accompagnées par la belle musique d’Antoine Berthiaume, évoluent quatre personnages. Sissi (Nathalie Doummar), son mari Pete (Mustapha Aramis), les voisins qui deviendront des amis, Marilyne (Élisabeth Sirois) et Jérémie (Mathieu Quesnel). La mise en scène de Marie-Ève Milot est rythmée et sa direction de comédiens convaincante. Mais tout tourne autour du questionnement existentiel de Sissi qui se plaint de ne pas avoir de modèles de mères.
Elle admire Anaïs Barbeau-Lavalette, Fanny Britt et Catherine Dorion qu’elle considère comme des mamans chill, des repères pour devenir la mère idéale. Pour Sissi, le fait pour les Québécois de descendre de coureurs des bois et de bûcherons semble être un élément indissociable de l’absence d’anxiété dans la parentalité. Ah, oui? Mais qu’en sait-elle, en fait?
Pendant une heure trente-cinq on a droit à toutes les versions possibles et imaginables des angoisses qui étreignent Sissi et qui la transforment en une utopiste complètement déconnectée de la réalité. Plutôt que de voir tout ce qu’elle a : un mari aimant, un petit garçon merveilleux, une famille qui l’aime et dont elle est très proche, elle mène une quête impossible à la recherche d’idéaux même pas très bien articulés. C’est une jeune femme incapable de voir le bon et le bien qui composent sa vie et qui intellectualise tout dans l’espoir d’y voir plus clair. Les gestes qu’elle pose, les décisions qu’elle prend, appuyés sur des raisonnements confus, ne servent qu’à aliéner les gens autour d’elle. Et qu’à l’aliéner elle-même encore plus.
Les lubies souvent risibles de Sissi (mentionnons que son mari est un saint de la supporter) sont le fil conducteur de ce texte et la sauce est étirée jusqu’au maximum. Le propos est mince et alors que je me demandais où tout cela allait mener (nulle part en fait), je n’ai pu que remarquer ce qui ressortissait de tout cela : l’inconséquence et l’égocentrisme du personnage principal totalement incapable de considérer la vie de façon réaliste.
Cette Sissi et un personnage complètement insupportable dans lequel je n’ai pas cru une seconde. Son désir de réinventer la maternité, le couple, la féminité ne m’a semblé qu’une échappatoire pour ne pas avoir à nommer ce manque, ce vide qu’elle ressent avec acuité et que rien n’arrive à combler. Sissi voudrait changer la donne et force les gens autour d’elle à accepter ses absurdes propositions. Mais en croyant ordonner son monde, elle ne crée que de la confusion.
Marie-Claire Girard
Crédit photo : Sylvie-Ann Paré
Sissi : Une production Tableau Noir et Théâtre Osmose en codiffusion avec La Manufacture, à La Licorne jusqu’au 29 novembre 2019.