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Tout inclus: Casser maison et aller vivre dans un foyer.

Les parents de François Grisé, l’auteur deTout inclus que l’on peut voir à La Licorne, vivent dans une résidence pour personnes âgées. Leur fils a constaté qu’il y a des choses qui ne marchent pas dans ce choix de vie, ou plutôt décision de vie puisqu’on ne peut pas vraiment parler de choix, les alternatives étant  pratiquement inexistantes. En 2014, François Grisé est allé vivre un mois dans une de ces résidences, à Val-d’Or en Abitibi, histoire d’en savoir plus. Tout inclus  en est le résultat en théâtre-documentaire.

 

L’auteur s’attarde aux noms que l’on donne à ces mouroirs, puisque c’est de ça qu’il s’agit, en somme. Oasis, jardins, patrimoine, soleil, des mots qui suggèrent une renaissance, un renouveau, un ancrage alors que dans les faits, les personnes âgées qui se retrouvent là sont des déracinés qui ont abandonné tout ce qui constituait leur vie et leurs souvenirs. Sans beaucoup de contact avec le monde extérieur, ils vivent maintenant dans une communauté avec des gens qui n’ont pas nécessairement les mêmes affinités qu’eux. Leur quotidien est scandé par le menu de la cafétéria, d’une désolante banalité, avec un cycle de dix jours où le vol-au-vent au poulet alterne avec le spaghetti italien et le macaroni à la viande. L’arrivée de François, un jeunot, vraiment, à 43 ans, sera l’occasion pour eux de raconter leur vie, de trouver une oreille attentive pour le désespoir diffus qui les habite, pour cette lucidité devant l’inévitabilité de la mort.

 

Précisons tout de suite que c’est un très bon spectacle : François Grisé est sympathique et chaleureux. Les trois comédiens (relativement âgés) qui l’accompagnent sont merveilleux. Marie Cantin, Marie-Ginette Guay et André Lacoste se mettent dans la peau et surtout dans le corps diminué d’une galerie de personnages avec toutes les nuances nécessaires. Et, parfois, ils sortent de leurs rôles et parlent en leur propre nom. La mise en scène d’Alexandre Fecteau est rythmée et inventive, des panneaux gris coulissants délimitent les espaces et plein de choses sont suggérées avec un minimum d’accessoires. Et la touche inimitable et toujours pertinente d’Annabel Soutar rappelle que le théâtre documentaire est plus que jamais nécessaire.

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On rit beaucoup aussi devant les remarques pleines de candeur, devant l’absence de filtres de certains et aux appels hebdomadaires que François fait à ses parents, des petits morceaux d’anthologie dont je peux assurer, pour l’avoir vécu, la véracité. L’on se rend compte rapidement qu’il y a un fourmillement de vie dans ces lieux mais qui ne semble trouver aucun exutoire, que les activités proposées sont d’une affligeante fadeur comme si l’idée même de passion pour quelque chose devrait être exclue passé un certain âge.

 

Cette dépossession, ce déménagement où on quitte la maison familiale pour se retrouver dans un trois et demi va de pair avec la perte de capacités physiques. Je suis plus capable de faire à manger, j’avais plus de gaz, plus capable d’entretenir la maison, disent ces personnes de 75, 80 ou 90 ans. Mais devrait-on vivre une déshumanisation, se faire infantiliser et ingurgiter du manger mou dans une cafétéria pour le reste de ses jours parce qu’on n’est plus capable de planifier ses propres repas?

 

Vivre dans ce genre d’endroit, c’est prendre conscience, brutalement, de sa fin. Comment en est-on arrivé là, demande François Grisé. Et je crois que ce qu’il interroge le plus c’est cette volonté de la part de notre société d’exclure les vieux, de les stationner à l’écart pour qu’ils ne nous rappellent pas ce qui nous attend tous, inéluctablement. Depuis 2014, beaucoup de ces gens avec qui François Grisé a vécu pendant un mois sont morts. Victor, 83 ans à ce moment-là, est un de ceux-là. Il avait dit : la vie est dure mais c’est magnifique. Peut-être qu’on pourrait, en gardant les gens chez-eux, dans leur environnement familier, avec des services adéquats, s’assurer que ce serait magnifique jusqu’à la toute fin.

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Lino Cipresso

 

Tout inclus : Une production de Porte Parole et Un et Un Font Mille, en collaboration avec le Collectif Nous Sommes Ici et en codiffusion avec La Manufacture, à La Licorne jusqu’au 25 octobre 2019.



03/10/2019
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