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Zéro de Mani Soleymanlou: contrebandier entre deux mondes

Mani Soleymanlou présente ce Zéro sur la scène de La Chapelle à la suite de ses huit autres créations portant toutes des titres chiffrés. Celle-ci est certainement la plus personnelle et ce magicien verbal nous propose une heure et demie remplie d’histoires, de regards posés sur le monde et de moments du plus haut comique. C’est tout un show, laissez-moi vous dire.

 

Il y a énormément de choses qui sont abordées au cours de ce spectacle extrêmement divertissant mais grâce à une structure impeccable, Mani Soleymanlou ne nous égare jamais. Il peut ainsi passer de l’Iran de son enfance à la France et au Québec, à des anecdotes sur son végétarisme qui n’est bon que l’hiver parce que l’été, il y a les BBQ tout en commentant ses tendances politiques, plutôt de gauche mais un peu de droite aussi mais pas Journal-de- Montréal-de-droite. Il peut aussi bien comparer les Gardiens de la Révolution en Iran à des héros de Marvel que s’insurger contre l’absence de diversité dans Pat Patrouille que son fils de quatre ans aime beaucoup. La représentation est remplie de digressions éblouissantes avec, en sous-titre, une réflexion sur l’identité, l’appartenance, l’héritage et sur ce qu’il est ou pas.

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C’est un texte où sont métissées aventures et mélancolie. Son père arrêté en Iran et qui, par la suite, décide de quitter son pays. Le fait que Mani parle toujours farsi mais que son fils, non et que le petit, qui veut tout de même aller en Iranie, ne peut pas communiquer avec son grand-père. Que la haine est alimentée au Québec par certains chroniqueurs, ce qui donne une hilarante histoire de cour d’école où les enfants de ces mêmes chroniqueurs véhiculent les idées de leurs parents. Où un rêve avec deux des sœurs Kardashian bifurque sur une réflexion sur la façon dont les langues traitent le rêve : J’ai fait un rêve, I have a dream, et quelque chose de beaucoup plus poétique et profond en persan.

 

La scène est occupée en partie par un amas de chaises empilées, par un micro et un banc. Larsen Lupin au son et Erwann Bernard aux éclairages sont en osmose avec Mani Soleymanlou dans une complicité manifeste qui fait plaisir à voir. Ajoutez à cela le charisme incroyable de cet auteur/comédien qui bouge, danse, se démène, parle sans arrêt (et tout est intéressant) et voilà que tous les éléments sont réunis pour une soirée extrêmement réussie : on rit beaucoup, certes. Mais on est aussi émus par cette quête peut-être vaine mais qui se révèle pour l’auteur, depuis toujours, de la plus haute importance.

 

Zéro, nous dit-il, c’est le vide : Ça m’échappe ce que je suis ou ne suis pas…je suis donc de plus en plus rien. Mais ce rien est rempli d’un nombre incalculable  de liens, de tendresse, de découvertes, d’observations et de cœur. Mani Soleymanlou isole des moments de la jeunesse ou de l’enfance en leur conférant tout l’art maîtrisé par l’adulte qu’il est devenu : la fiction donnant la possibilité infinie de se souvenir du passé, de l’enregistrer et de le comprendre. Peut-être. Cela relève probablement du mirage ou du trompe-l’œil mais rarement entend-on exprimé de cette façon le désir presque sauvage de se définir et de sauvegarder un patrimoine qui ne semble pas avoir d’héritiers.

 

Marie-Claire Girard

Crédit photo : Jean-François Hétu

Zéro : Une coproduction Orange Noyée et Le Théâtre Français du CNA, en codiffusion avec La Chapelle, jusqu’au 23 novembre 2019. Supplémentaire le 16 novembre à 16h.



12/11/2019
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