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Zoé d'Olivier Choinière: de la philosophie comme arme de destruction massive

J’ai des souvenirs très précis de cette grève étudiante de 2012, grève qui a duré de février à septembre, car j’enseignais dans un collège à cette époque et moi aussi, comme le prof de philo de Zoé, j’ai dû enseigner à des étudiants qui avaient demandé une injonction afin de poursuivre leur scolarité.

 

Au Théâtre Denise-Pelletier la pièce d’Olivier Choinière, qui signe également la mise en scène, se sert de ces événements pour nous faire réfléchir sur le bien-fondé de ce que l’on prend trop souvent pour acquis : notre liberté, nos droits individuels ou collectifs, notre responsabilité au sein de la société. Aidé en cela par Marc Béland et Zoé Tremblay-Bianco, Choinière propose un spectacle bien senti quoique plus subtil et moins percutant que certaines de ses pièces précédentes.

 

Dans un décor composé d’une plate-forme inclinée vers les spectateurs entourée de chaises comme on en retrouve dans toutes les salles de classe des collèges du Québec et éclairée par des néons sans pitié, Zoé, l'étudiante et Luc, le professeur de philosophie, vont s’affronter. On saisit d’emblée que ce dernier n’est pas d’accord avec cette injonction mais qu’il n’a pas non plus le choix : c’est ça ou l’outrage au tribunal et possiblement la prison. Dans ce huis-clos obligé, il fera donc ce qu’il peut pour amener Zoé à réfléchir sur les conséquences de ses actes et sur les choix qu’elle fait. Mais Zoé est une coriace, persuadée d’être dans son bon droit d’étudiante brillante et zélée obsédée par sa cote R qui, si elle est suffisante (ce qui veut dire très élevée) lui permettra d’entrer en médecine et de sauver le monde. Elle est issue d’un milieu bourgeois avec deux parents avocats (pour qui les injonctions n’ont aucun secret) et elle déclare bien haut et fort qu’elle est ici pour étudier pas pour se remettre en question. (Et si on ne se remet pas en question à 18 ans, à quel âge va-t-on donc le faire?) Zoé Tremblay-Bianco traduit parfaitement ce côté pragmatique et intransigeant, terre-à-terre et sans imagination qui caractérise certains éléments de notre belle jeunesse. J’en ai connu beaucoup pour qui l’important c’était la note obtenue, pas les connaissances acquises ou la curiosité qui peut aller de pair avec l’apprentissage.

 

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Marc Béland est merveilleux en prof de philo aux cheveux en bataille, habillé d’un jeans, d’un hoodie et d’une veste ; plein d’humour, cet amoureux de la Grèce antique aime et privilégie la subversion et accule Zoé au pied du mur en lui posant des questions comme est-il acceptable de faire des choix sans tenir compte des autres? Ou alors en tenant compte de tout le monde…il la déstabilise entre autres en soulignant que tous les beaux discours sur la démocratie dissimulent bien souvent des interventions armées et qu’il est inutile dans une dissertation de faire du name-dropping de philosophes du 18ème siècle pour donner l’illusion qu’on a compris le sujet du travail. Mais lui aussi est aux prises avec des doutes, des questions existentielles insolubles, de troublantes interrogations et ce qui au départ semble être une confrontation avec Zoé va se muer en autre chose : une remise en question des choix qui sont faits. Et ce, de part et d’autre mais d’une façon totalement différente.

 

Il n’y a qu’un seul moment dans la pièce où les deux protagonistes parlent d’eux-mêmes et de leurs motivations profondes. Pas l’un à l’autre cependant. On saura pourquoi Luc enseigne et pourquoi Zoé veut être médecin. Il s’agit d’un tout petit passage qui jette un éclairage sur ces deux personnalités qui peuvent sembler définitivement campées sur leurs positions respectives. Alors qu’il y a des raisons profondes à cela.

 

Le dramaturge se sert d’un procédé efficace en terminant une scène sur une ou deux phrases qui seront reprises lors du début de la scène suivante. Les bruits des manifestations étudiantes et autres effets sonores d’Éric Forget scandent le temps qui passe alors que les éclairages d’André Rioux se révèlent, je dirais, émotifs. Et l’ensemble se fait de plus en plus brutal au fur et à mesure du déroulement de la pièce.

 

On n’est pas grand-chose sans les autres. C’est en tout cas ce que Luc essaie de faire comprendre à une Zoé totalement rébarbative à une certaine forme de compassion, elle qui veut être médecin. L’image que je garde de Zoé est celle d’une aventurière des explorations immobiles. Elle est sûrement libre de penser, mais elle n’est pas libre de pensées.

 

Marie-Claire Girard

 

Crédit photo : Gunther Gamper

 

Zoé : une coproduction du Théâtre Denise-Pelletier et de L’Activité, au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 29 février 2020.



08/02/2020
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